samedi 23 juin 2012

Affaire Marina. Le procès du « démon à deux têtes »

Les avocats des parties civiles se sont succédé, vendredi, à la barre des assises où sont jugés des parents accusés d’avoir torturé à mort leur enfant de 8 ans.
« Moi qui avais abandonné la foi, j’ai prié sept fois avec soeur Myriam. Pour me demander pardon. » L’accusée, 33 ans, se rassoit, hier matin, dans le box des détenus sans réaliser que c’est à Marina qu’elle aurait dû adresser ce pardon.
Elle est comme ça Virginie Darras. Les mots, ça ne doit pas être son truc. Enfin, pas sûr que cela serve d’explication crédible à tous ses silences. Neuf jours, déjà, que cette petite femme au visage rond et aux longs cheveux châtains clairs rassemblés en chignon ou en queue-de-cheval apparaît fuyante et imprécise.
Un trou de souris
Souvent pliée en deux comme pour disparaître dans un trou de souris, elle est sans cesse envahie de sanglots qui noient ses rares réponses et qui ont, plusieurs fois, fait sortir de ses gonds le président Roucou : « Arrêtez de pleurnicher ! »
Même s’il a semblé plus bavard que son ex-épouse, Éric Sabatier, 40 ans et toujours l’alliance à l’annulaire, n’a pas trouvé, lui non plus, d’explication à sa barbarie. Il l’a encore répété jeudi soir : « Vous m’avez posé cent fois la question. Je ne comprends toujours pas. Je ne me reconnais pas. Mais c’est moi qui l’ai fait. Je croyais que j’aurais des réponses pendant le procès. Mais non, dit-il en tendant ses bras, les mains ouvertes. Je n’ai même pas le droit de demander pardon à mes enfants. Je suis devenu ce mec qui ne se supporte plus. Ce monstre abject. Je me déteste. »
Diable et diablesse
Il est 9 h 30, vendredi. Entamés le 11 juin, les débats de la cour d’assises de la Sarthe viennent de prendre fin. On va attaquer les plaidoiries des parties civiles. Et le mystère demeure entier. On ne saura donc jamais ce qui a conduit ce couple à martyriser leur enfant pendant près de six ans.
On ne saura pas non plus avec précision le rôle de cette « diablesse » et de ce « diable », comme ils aimaient s’appeler dans leurs SMS, dans cette avalanche de sévices et de tortures infligés à Marina, 8 ans, dont le corps meurtri a été retrouvé en septembre 2009, dans une malle remplie de béton.
Figurines dans la vitrine
Conseil des cinq frères et sœurs de Marina, Me Godard ouvre le bal des parties civiles. Il a pourtant 24 ans d’expérience mais s’excuse à l’avance « si à un moment, l’émotion me surprend ».
« Spectateurs impuissants du calvaire de leur sœur, ils ont été victimes du mensonge de leurs parents qui en ont fait des figurines exposées dans la vitrine d’une famille ordinaire. Ces enfants ont besoin de dire qu’ils étaient, et sont, les frères et sœurs de Marina ; eux qui s’interdisent d’être victimes car ça leur paraît dérisoire au vu de ce que Marina a vécu. Ils souffrent de ne jamais avoir pu jouer avec elle. Elle que ses parents ont abandonnée en position fœtale avec comme seul linceul des sacs poubelles. »
Étoile brillante
Il se tourne vers les accusés : « J’ai longtemps cherché les termes pour qualifier ce couple. Dans l’enfer de Marina, je n’ai trouvé qu’un démon à deux têtes. » Me Godard hausse le ton : « Vous deviez la vérité à la mémoire de votre fille, vous vous taisez pour vous protéger. »
Mais comme souvent pendant ce procès, la colère a vite cédé sa place à la tristesse. Des trémolos dans la voix, l’avocat puise au fond de lui-même pour éviter d’être submergé : « La dernière image que je garderais, dit-il, est celle de ce frère et de cette sœur qui sortent dehors tous les soirs pour y chercher l’étoile la plus brillante. Maintenant, moi aussi, quand je regarderai le ciel, je penserai à Marina, cette enfant qui s’est éteinte beaucoup trop tôt. »
Couple infernal
Dénonçant une « faute du service de gendarmerie et du parquet » - lors de l’enquête qui a conduit au classement « gravissime » du premier signalement de suspicion de mauvais traitement sur Marina - Me Sur, avocat de l’association Innocence en danger, regrette que « les trois institutrices exceptionnelles qui ont fait leur travail se soient heurtées à une justice qui ne les a pas suivies ».
« On a vu des professionnels admirables et d’autres affligeants, embraye Me Padovani, conseil de l’association L’enfant bleu - Enfance maltraitée, qui reconnaît que c’est d’abord le procès des parents de Marina, « victime d’un couple infernal ».
« Il a fallu sans cesse vous confronter aux éléments du dossier pour que vous parliez, regrette Me Pitchouguina, avocate de la tante de Marina et de La voix de l’enfant. Combien de tortures lors de ces 2 000 longues journées de supplices avez-vous caché ? »
« Tache indélébile »
« Dans la conscience de sa maman, Marina est morte à la naissance. Elle l’a repris après l’avoir déclarée morte et abandonnée. Était-ce pour satisfaire sa famille ? Relancer son histoire avec Éric Sabatier ? On peut le supposer, estime Me Costantino, avocat de l’association Enfance et partage. Mais elle n’a jamais repris l’enfant pour lui-même. Ce qui aurait été la seule bonne raison. Marina a été très vite une tache indélébile dans la vie de cette femme ; elle est inscrite sur une page du livret de famille qu’il faudrait déchirer. »
« Petite princesse »
Pour l’avocat parisien, « Marina aurait pu les faire se déchirer. Ils ont fait un autre choix. Je pense à ces scènes de violence qu’ils ont commises ensemble sur la petite fille. Marina les a fait sans cesse se réunir. Les tortures qu’ils lui infligeaient étaient une communion entre eux ».
Il achève ainsi sa plaidoirie : « Marina fait partie de ses enfants dont on se réjouirait presque de la mort car c’est une délivrance. Quand elle est morte, au petit matin, ils ont dit qu’elle avait encore le sourire aux lèvres. Je serais presque tenté de le croire, car c’est comme ça que partent les petites princesses. Avec le sourire. »

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