Un commandant de marine comparaît ce lundi au tribunal correctionnel de Marseille pour harcèlement moral, après le suicide par pendaison en juin 2010 d'un sous-officier qui lui servait de maître d'hôtel, à bord d'une frégate dont l'atmosphère était devenue irrespirable. Lors de l'instruction, les témoins ont tous raconté la même histoire : une "ambiance exécrable", "des pressions permanentes", le tout dans le huis clos d'une frégate devenue le "bateau de l'enfer".
Selon les membres d'équipage, le commandant, Eric Delepoule, 43 ans, issu de l'école navale de Brest et dirigeant la frégate légère furtive "La Fayette" depuis 2008, était connu, tant sur le navire qu'en-dehors, pour son intransigeance et son "manque d'humanité". L'équipage était "son petit personnel" et les punitions pleuvaient tellement que la chaîne de commandement sous ses ordres ne les appliquait pas toujours. Le médecin de bord évoquera même, lors de son audition, un gradé "se prenant pour Dieu à bord".
Signes de l'ambiance délétère, le refus par l'équipage de fêter le traditionnel franchissement de l'équateur, et le "turnover" élevé dans ce bâtiment chargé notamment de la traque des bateaux pirates.
"Rythme et charge de travail écrasants"
C'est dans ce contexte que le second maître Sébastien Wancke, un jeune homme de 32 ans originaire de Saône-et-Loire, est retrouvé le 15 juin 2010 pendu à bord, alors que la frégate se trouve au large de la Sicile. D'après l'enquête, il faisait face à un "rythme et charge de travail écrasants". Sous ses ordres depuis un an et demi, il était "aux premières loges pour recevoir les brimades du commandant", souligne l'avocat de sa famille, Me Jean-Jacques Rinck : en charge du carré du commandant, "il était son larbin".
"Il faisait son lit, nettoyait ses chiottes, repassait ses vêtements", ajoute le conseil. Il devait organiser la préparation des repas et le service à sa table matin, midi et soir, notamment lors de fréquents dîners de prestige. Même à quai, le commandant l'obligeait "à rester à bord en-dehors des heures de service les soirs et week-ends pour servir les nombreux repas organisés au profit de ses amis", décrira la compagne de la victime.
Coup de grâce
Le tout avec, selon les mots du juge d'instruction, un niveau d'exigence "excessif, voire abusif au point de revêtir un véritable aspect vexatoire". Face à "l'exceptionnelle quasi-unanimité des témoignages", le commandant est resté, lors de ses auditions, droit dans ses bottes. Contestant tout harcèlement, il a nié avoir émis des "critiques constantes et quotidiennes" à l'égard de la victime et affirmé n'avoir jamais eu connaissance de l'atmosphère déplorable à bord. Pour le magistrat instructeur, "il était manifeste que le défunt était à bout, physiquement comme nerveusement", et que "le coup de grâce final est venu de la notation de mai-juin 2010 (qui) a probablement été le déclencheur du passage à l'acte".
Quelques jour avant son suicide la victime avait reçu une note correcte, mais assortie d'une appréciation castrophique, pointant "son absence d'investissement" et le décrivant comme "un maître d'hôtel désabusé". Selon Me Rincke, ce procès de harcèlement est "atypique". De par le "lieu de travail", une frégate furtive, qui est comme un "sous-marin de surface", complètement clos, et aussi parce que "cette procédure est sortie" : dans la marine, "généralement, on lave son linge sale en famille". Ce qui sera jugé, "c'est le côté obscur de la force militair"», analyse-t-il, avec l'espoir que la marine ne confiera plus de commandements à ce type de personnalités. Dans une enquête interne, elle avait totalement disculpé le prévenu. M. Delepoule risque deux ans de prison et 30.000 euros d'amende.
http://www.laprovence.com/article/actualites/2628268/marseille-un-commandant-de-fregate-juge-pour-harcelement-moral.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire