jeudi 26 juin 2014

Nicolas Bonnemaison acquitté : les «leçons» du procès

Il aurait fallu enregistrer ces onze jours de débats devant la cour d'assises des Pyrénées-Atlantiques, où Nicolas Bonnemaison, 53 ans, était jugé pour l'«empoisonnement» de sept patients très âgés et malades. Chacune des parties au procès de l'ex-urgentiste bayonnais, acquitté mercredi «de la totalité des faits», s'accorde à regretter que tel n'ait pas été le cas.
  Car la qualité des audiences et des témoins, l'émotion exprimée sur ce «temps de la vie» qu'est l'agonie, les interrogations sur la façon de l'accompagner, ont marqué les esprits.

Le verdict d'acquittement - qui répondait à quatorze questions sur des cas précis - ne se prononce pas sur la question d'une évolution de la loi Léonetti de 2005. Il juge que le praticien a agi «de bonne foi» face aux «souffrances physiques et psychiques» de patients pour lesquels «l'arrêt des traitements», autorisé par ce texte, avait été décidé avant leur arrivée dans son unité. Et qu'il a procédé à des «sédations» par injections sans avoir «l'intention de donner la mort» (lire ci-dessous la «motivation» du verdict). «Revenons aux faits, au cadre de la loi telle qu'elle est aujourd'hui», ont rappelé maintes fois le
Michel Le Maître et l' général Marc Mariée. Ce procès ne vaut pas non plus avis sur l'euthanasie à la façon belge ou hollandaise, n'en déplaise à ses partisans comme à ses adversaires. Mais il a renvoyé chacun dans l'intimité de «cette zone grise» qu'est l'appréhension de la fin de la vie - et qui se déroule à l'hôpital, rappelons-le, pour plus de 70% des Français. Décryptage.

La loi, jusqu'où ?

«La cour d'assises de Pau a acquitté un homme. Il appartient maintenant à ceux qui veulent changer la loi de prendre leurs responsabilités», ont insisté les avocats de Nicolas Bonnemaison. L'un d'eux, Me Ducos-Ader, n'a cessé de souligner «le décalage» entre la peine criminelle de perpétuité encourue par son client et les «gestes de soins» qu'il revendique. Avant de requérir cinq ans de prison avec sursis, l'avocat général en a convenu : l'homme dans le box, s'il avait à ses yeux trangressé «l'interdit de tuer», n'était «pas un assassin, pas un empoisonneur au sens commun de ces termes». Nicolas Bonnemaison, dont l'expert psychiatre a souligné la personnalité «compassionelle», a toujours expliqué avoir injecté à ses patients des produits aux effets potentiellement létaux afin de «soulager leurs souffrances physiques et psychiques». La cour a tranché en son sens: s'il a bien utilisé de l'hypnovel - un sédatif puissant - pour cinq patients, et même du norcuron - un curare dont l'usage n'est pas recommandé par les protocoles - pour un autre, «l'intention homicide du praticien (n'est) pas établie».

Ne faudrait-il pas que votre loi évolue, en prévoyant notamment des sanctions adaptées ?, avait demandé Me Ducos-Ader au député
Jean Léonetti, chargé depuis d'une nouvelle mission de réflexion par le Président Hollande. «Le Dr Bonnemaison est là parce qu'il a donné la mort à des malades qui ne le demandaient pas. Aucune loi au monde ne permettrait cet arbitraire», avait répondu ce dernier, tout en défendant la sédation en phase terminale comme «un devoir de soulagement, un droit que les malades peuvent revendiquer». «Après dix ans, je me méfie de celui qui dit «moi je sais» sur ce sujet», a noté l'auteur du texte de 2003. Quelle que soit la législation, «il y aura toujours un interstice libre pour la conscience», a souligné l'ancienne ministre Michèle Delaunay. Favorable à une évolution législative, le professeur Didier Sicard a mentionné que le Comité national consultatif d'éthique (CNCE) suggérait, à l'époque où il l'a présidé, un concept d'«exception d'euthanasie», définissant dans certains cas des conditions évitant d'enclencher «la lourde machine judiciaire» - «mais cet avis n'a pas été retenu», a-t-il rappelé.

La solitude du médecin

«La médecine a toujours, depuis des temps immémoriaux, aidé à mourir», a également rappelé le professeur Sicard. «La société ne supporte pas l'agonie. Il y a tel tabou de la mort qu'on ne l'aborde qu'à la fin (...) dans un système hospitalier inhospitalier», a déploré Jean Léonetti. Leurs paroles, mais aussi celles d'autres médecins, ex-confrères ou non de Nicolas Bonnemaison, qui sont venus raconter ces moments où un patient dit: «Docteur, il va falloir m'aider», ont beaucoup pesé. «Quand on me dit ça, je ne pense pas à donner la mort, parce que la mort est déjà là. Et la mort, comme le médecin la voit, ce ne sont pas des images de cinéma», a décrit le Dr Marie-Pierre Kuhn. «L'agonie est un combat, face auquel je n'ai pas d'armes», a admis son confrère Thierry Saint-Val. «Il s'agit de prendre la moins mauvaise décision (...) de rendre la fin de vie la plus digne possible», a renchérit Frédéric Chaussoy, le médecin poursuivi il y a dix ans pour avoir «aidé» Vincent Humbert à mourir avant de bénéficier d'un non lieu.

«Dans ce passage de quelques heures où l'on est plus vivant et pas tout à fait mort, le médecin qui ne délègue pas est un médecin courageux», a encore témoigné Jean-Etienne Bazin, anesthésiste réanimateur, qui affirme avoir «toujours pris la responsabilité d'appuyer sur la seringue.» «Avec l'équipe, la collégialité est dans le projet thérapeuthique, dans la pratique du service», a-t-il expliqué. Pas dans le «geste», ni dans le choix «technique» du produit, ont défendu ces praticiens. «La loi s'arrête-t-elle donc à la porte de l'hôpital !», s'était interrogé l'avocat général. Le magistrat a plus tard considéré cette «solitude culturelle du médecin», quelque peu «archaïque», comme l'une des raisons expliquant pourquoi Nicolas Bonnemaison aurait franchi «l'infime limite» entre l'acte «qui abrège les souffrances» et celui «qui abrège la vie». Reste qu'in fine, les jurés ont écarté cette question de l'absence de consultation de l'équipe soignante. Et pris en compte «le contexte bien spécifique de l'UHCD», l'unité où il travaillait et où parvenaient, après un passage aux urgences et une décision d'arrêt de traitement, des patients «atteints d'affections graves et reconnues comme incurables» qu'aucun autre service de l'hôpital de Bayonne n'accueillait.

La délicate place des familles

Par deux fois au moins, la cour d'assises a perçu «de vive voix» à quel point la fin de vie d'un proche est susceptible de diviser une famille. A la barre, l'épouse d'un défunt et sa belle-fille, pourtant d'accord pour soutenir Nicolas Bonnemaison, se sont déchirées. Les enfants d'un autre - un frère s'étant constitué partie civile, sa soeur souhaitant l'acquittement- s'opposer. «L'avis de la famille a une certaine fragilité, a souligné Michèle Delaunay. (Leur) responsabilité est très lourde, et elle est aussi fluctuante. L'un peut-être lassé des trajets quotidiens à l'hôpital, l'autre dans une relation fusionnelle... J'écoute, mais avec prudence», a-t-elle relaté, en estimant, concernant le dossier Bonnemaison, que la plupart des familles avaient en quelque sorte acquiescé à titre «posthume» en ne se constituant pas partie civile. Les trois proches qui l'ont fait voulaient avant tout «comprendre», ont-ils expliqué à la cour. Nicolas Bonnemaison «n'a pas informé les familles à chaque fois», a établi la cour, mais cet élément ne démontre pas, là non plus, qu'il ait eu «l'intention de donner la mort aux patients».

http://www.leparisien.fr/faits-divers/nicolas-bonnemaison-acquitte-les-lecons-du-proces-26-06-2014-3954465.php

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