mardi 23 juin 2015

Il était une fois un infanticide

Charles D., 33 ans, et Aurélie S., 26 ans, sont ensemble dans le box de la cour d’Assises de Nancy. Mais ils se sont assis aussi loin que possible l’un de l’autre. Anecdotique ? Non. Symbolique. Tous deux ne forment plus un couple et, devant la Justice, chacun joue sa partition en solo.
Ils sont jugés jusqu’à jeudi pour avoir martyrisé leur fille de 2 mois, Maé. Ils ne supportaient pas ses pleurs et l’ont, à tour de rôle, tapée, lancée, mordue ou secouée. Cela a commencé dans la semaine suivant sa naissance et cela s’est terminé par la mort de l’enfant le 12 février 2010.
Le père comme la mère ont reconnu avoir maltraité leur bébé dans leur appartement de Villers-lès-Nancy mais chacun accuse l’autre d’avoir joué un rôle prépondérant. Avant de disséquer les faits et d’essayer de déterminer la part de responsabilité de chacun, la cour d’assises a commencé par se pencher ce lundi, au premier jour du procès, sur les parcours et les personnalités des accusés. Le moins que l’on puisse dire, c’est que leurs trajectoires sont pathétiques. Cette affaire bien glauque est la rencontre de deux paumés, de deux errances. Charles D. tout d’abord. Il a eu une enfance pas forcément facile avec un père militaire plutôt sévère. « Vous auriez reçu un martinet comme cadeau d’anniversaire, ce qui n’est pas banal ! », souligne le président Redonnet. « Oui, mais quand mon père me donnait des coups avec, c’était mérité », tempère l’accusé, petit brun enrobé à lunettes qui peine à sortir une phrase complète. Pour une fois, il ne fait pas dans la « victimisation », une tendance mise en avant par une enquêtrice de personnalité.
Car sa vie est une suite de ratés et souvent par sa faute, même s’il peine à l’avouer. Notamment lorsque, employé comme manutentionnaire, il défonce une porte lors d’un chargement de marchandise. Mais c’est parfois, aussi, la faute à pas de chance. Comme l’échec de sa vocation de militaire, son « rêve d’enfant ». Une maladie génétique le rend en effet allergique au soleil et inapte à porter l’uniforme.
« Elle le voyait comme le prince charmant »
L’histoire d’Aurélie S. c’est carrément du Zola. Sa mère meurt lorsqu’elle a trois ans, en mettant au monde son petit frère. Son père sombre ensuite dans l’alcool et elle se retrouve placée toute petite. Elle grandit ensuite entre familles d’accueil et foyers.
Lorsqu’elle rencontre Charles D., elle est déjà enceinte de deux mois. C’est une sorte de coup de foudre tragique. Le père biologique de l’enfant voulait qu’elle avorte, lui l’encourage à garder le bébé et va jusqu’à le reconnaître bien avant l’accouchement. « Elle le voyait comme le prince charmant qui allait la sortir de sa condition », résume un enquêteur de personnalité. La suite sera loin d’être un conte de fées.
Queue-de-cheval, tenue de sport rose et grise mine, Aurélie S. est incapable d’en parler. Elle reste quasi muette face aux questions du président. Sur son passé. Mais aussi sur son présent. Car depuis qu’elle est sortie de prison, en juillet 2011, sa vie ressemble aux montagnes russes et donne le vertige. Elle a multiplié les aventures et s’est fait avorter. Puis s’est mariée et… a eu une autre petite fille. Avec un homme auquel elle avait caché l’affaire d’infanticide. « C’est difficile d’en parler », lâche Aurélie S. On veut bien le croire.
La garde de sa seconde fille lui a été retirée immédiatement. « Comment voyez-vous l’avenir ? », lui demande le président Redonnet. «… J’aimerais trouver un travail… », hésite l’accusée. Avant qu’un silence glacial et désespérant retombe comme une chape de plomb sur l’audience.

http://www.estrepublicain.fr/edition-de-nancy-ville/2015/06/23/il-etait-une-fois-un-infanticide

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