mercredi 14 octobre 2015

Amnésie autour d'un accident mortel

Tuer involontairement son meilleur ami dans un accident de la circulation, blesser grièvement un autre ami… et ne se souvenir de rien. Dossier difficile, délicat et douloureux, hier à la barre du tribunal correctionnel, au cours duquel comparaissait le conducteur de ce drame de la route, Stevens J. Âgé de 55 ans, l'ancien légionnaire, quinze ans d'armée, plusieurs campagnes à son actif, d'origine britannique, s'était installé à Bram où il tenait un bar. Régulièrement, après la fermeture de son établissement, il se rendait avec ses meilleurs amis Nicolas et Laurent dans un restaurant Le Labyrinthe. Stevens J., très maigre dans un costume sombre, le crâne rasé et le visage marqué, se présente à la barre. Il explique avec un accent très prononcé que ce soir-là, le 26 juillet 2014, les trois hommes boivent quelques verres et dînent au Labyrinthe. Ils quittent le restaurant vers 2 h 30. «Le patron du restaurant a déclaré qu'il vous avait trouvé bien en sortant», indique la présidente du tribunal Céline Fleury. Puis arrivent les zones d'ombre, l'amnésie, la complète incompréhension.

2,8 g d'alcool dans le sang

Les zones d'ombre resteront inexpliquées. En effet, à 4 h 55, soit près d'une heure trente après être sorti du restaurant, Stevens J., au volant de sa voiture, percute un poids lourd, un choc frontal inouï et ce à quelques centaines de mètres à peine du Labyrinthe, sous le pont de l'autoroute à Arzens. Avant le choc avec le camion, deux automobilistes parviendront in extremis à éviter la voiture de Stevens J. qui roulait au milieu, voire à gauche de la chaussée. «Où êtes-vous allé en sortant du restaurant ? Qu'avez-vous fait pendant tout ce temps car les gendarmes ont relevé dans votre sang un taux d'alcoolémie de 2,8 g ?», reprend la présidente. Les mâchoires serrées, Stevens J. répond : «J'aimerais bien le savoir». Son passager avant, Nicolas, est mort sur le coup, son passager arrière s'était endormi sur la banquette, il a été grièvement blessé comme Stevens J. Trois semaines de coma, de nombreuses fractures et une amnésie qui ne l'a jamais quitté. «Je ne sais pas combien de verres il faut boire pour arriver à ce taux-là. Je ne comprends pas», murmure le prévenu à la barre. «Je suis désolé, je ne sais pas ce que j'ai fait…» répète-t-il encore.

Amnésie réelle ?

Pour le procureur de la République, l'amnésie est peut-être bien réelle mais les faits sont là : «2,80 g d'alcool, des automobilistes l'ont vu chevaucher les deux voies de circulation et puis le choc avec le camion. Personne ne l'a obligé à boire puis à prendre le volant. Il est responsable de cet accident tragique», lance Stéphane Béres qui demandera de condamner Stevens J. à quinze mois de prison avec une partie en sursis si le tribunal le juge. Pour le défenseur de Stevens J. le prévenu ne feint pas l'amnésie. «Quinze mois après les faits, il est toujours hanté par cet accident et il le sera encore pendant des années. C'est aujourd'hui un homme seul qui a tout perdu, son meilleur ami, son bar… Ses propos n'ont aucune mauvaise foi, il n'est pas ce genre d'homme, il sait très bien qu'il sera reconnu responsable», clame son défenseur qui demandera au tribunal un sursis simple et un suivi psychologique pour son client.
Le tribunal rendra son délibéré le 1er décembre prochain. Stevens J. reste enfermé dans le labyrinthe de sa mémoire.

http://www.ladepeche.fr/communes/carcassonne,11069.html

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