vendredi 2 octobre 2015

Primes en liquide : Claude Guéant mis en difficulté

Il a connu la solitude du pouvoir, Claude Guéant découvre celle du prétoire. Poursuivi pour complicité de détournement de fonds publics et recel en 2002-2004, alors qu'il était directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy à l'Intérieur, le haut fonctionnaire aujourd'hui avocat s'est retrouvé, vendredi, en difficulté, au procès dit «des primes de cabinet».
Certes, il a toujours reconnu avoir demandé au directeur général de la police nationale (DGPN) de l'époque, Michel Gaudin, de lui verser 10 000€ en liquide par mois, prélevés sur le budget annuel d'une dizaine de millions d'euros destinés aux «frais d'enquête et de surveillance» (FES) engagés par des fonctionnaires dans le cadre de leurs investigations. M. Guéant, il ne le conteste pas, gardait la moitié des 10 000€, avec lesquels il a acheté des appareils électroménagers et réglé des factures chez un cuisiniste et un décorateur. Selon lui, cette pratique de complément de rémunération était ancienne dans la police.

Note de 1998

Le souci, c'est qu'il fut lui-même DGPN, et qu'en 1998, sur le point de quitter son poste pour cause d'alternance politique, il avait laissé en guise de «testament» une note destinée à mettre fin aux dérives et à réserver aux FES l'utilisation définie - fort vaguement il est vrai - par un décret de 1926. Il indiquait en tout cas par écrit que ces liquidités ne devaient plus servir en aucun cas à des fins indemnitaires.
Quand il revient aux affaires en 2002, Lionel Jospin a supprimé les fonds secrets de Matignon, qui arrondissaient les fins de mois des membres de tous les cabinets ministériels, Intérieur compris - mais la place Beauvau avait aussi les FES. Une indemnité de sujétion particulière (ISP) avait été créée, mais beaucoup de fonctionnaires y perdaient au change: c'est pour maintenir leur rémunération au même niveau et abonder des ISP «étriquées» que M. Guéant aurait eu recours aux FES, en dépit de sa vertueuse note de 1998. Entendu par les enquêteurs en 2013, M. Gaudin avait d'ailleurs expliqué qu'il connaissait la motivation altruiste de son «ami mais aussi supérieur hiérarchique».

«Arrière Satan»

La situation s'est donc compliquée vendredi pour Claude Guéant, et le premier coup n'est pas venu - comme souvent dans un procès - de là où on l'attendait. Gérard Moisselin, ex-directeur adjoint du cabinet Sarkozy, est préfet et énarque, comme tout le monde serait-on tenté de dire dans ce dossier (seul un des cinq prévenus n'est pas issu de la grande école). Interrogé par la présidente, il raconte comment, lui qui n'était pas un familier des mœurs d'une police nationale apparemment très à l'aise, du moins en ces temps reculés, avec les billets de banque non déclarés au fisc, il avait reçu sa première enveloppe de 3 000€ des mains de son patron: «Qu'auriez-vous voulu que je fasse, demande-t-il vivement. Que, d'un geste noble, je renvoie l'enveloppe à la figure de M. Guéant, en disant: «Arrière, Satan»?» Comme il se serait étonné de cette gratification en cash, il se félicite: «J'ai eu le courage de lui poser explicitement la question».
Assis à moins d'un mètre, Claude Guéant, dont le visage s'empourpre facilement, se concentre sur le calepin noir dans lequel il prend des notes.
La présidente, visiblement agacée: «Ce n'est pas parce que tout le monde le fait qu'il faut le faire aussi. Le cabinet d'un ministre, c'est le sommet de l'État: n'y a-t-il pas la un sentiment de toute-puissance»?
Gérard Moisselin: «Pas du tout. Je travaillais de manière extrêmement scrupuleuse et respectueuse de toutes les règles».
Michel Gaudin lui succède au micro. L'ancien DGPN est l'actuel directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy. Avec force, il répète ce qui lui tient lieu de ligne de défense: «Je ne savais pas, et ne voulais pas savoir, ce que M. Guéant faisait de ces fonds. Je pouvais imaginer qu'il les utilisait dans le cadre de dossiers très importants, tels que la recherche d'Yvan Colonna, l'explosion de l'usine AZF, la lutte contre le terrorisme international. J'imaginais qu'il appliquait à lui-même les règles qu'il avait fixées en 1998 quand il était DGPN».

«Ami et supérieur hiérarchique»

La procureure Ulrika Weiss, très offensive, rappelle au prévenu qu'en décembre 2013, il avait prétendu devant la cour des Comptes qu'il savait que «son ami et supérieur hiérarchique» utilisait les FES pour gratifier des membres de son cabinet.
Cette fois, M. Gaudin se démarque nettement: «J'ai pu reprendre un peu à mon compte cette explication par solidarité avec Claude Guéant. Je l'avais découverte en juin dans un rapport de l'Inspection générale de l'administration. Mais j'ai dit onze fois, (il détache en répétant) on-ze-fois, aux enquêteurs que j'ignorais la destination des fonds, à l'époque». Une pause. «Claude Guéant rencontrait des informateurs dans des églises, pour l'affaire Colonna, je pensais qu'il les rémunérait».
Reprise des débats mercredi prochain.

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/10/02/01016-20151002ARTFIG00232-primes-en-liquide-claude-gueant-mis-en-difficulte.php

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