jeudi 15 octobre 2015

Procès Bonnemaison : témoignages au plus près de la fin de vie

Après les témoignages de l'ancien et l'actuel directeur du centre hospitalier de la Côte basque à Bayonne mercredi en début d'après-midi, place au personnel soignant. Depuis lundi, Nicolas Bonnemaison, ex-urgentiste à l'hôpital de Bayonne est jugé en appel devant la cour d'assises de Maine-et-Loire pour avoir "empoisonné" sept patients en fin de vie en 2010 et 2011.
Suivez les temps forts de ce procès. Cet article sera réactualisé régulièrement.
  • Mercredi après-midi et jeudi matin : "La sédation n'est pas l'euthanasie"

Depuis le début de l'affaire, Nicolas Bonnemaison affirme avoir agi, non pas avec l'intention de tuer, mais pour soulager la douleur et les souffrances des sept patients en fin de vie.  A la barre, des médecins du centre hospitalier de la Côte basque, en soutien à leur ancien collègue aujourd'hui dans le box des accusés, sont venus raconter des situations d'extrême fin de vie.
Ces témoignages n'éclipsent pas certaines questions : pourquoi Nicolas Bonnemaison n'en a-t-il pas parlé avec d'autres soignants ? Pourquoi ne pas avoir averti la famille ? Pourquoi ne pas l'avoir inscrit au dossier médical ? Mais ils livrent un éclairage sur ces derniers moments.
Anne Sevilla, 45 ans, aujourd'hui médecin en cancérologie : "Soins palliatifs et fin de vie, ce n'est pas la même chose. Vous allez venir me voir, vous avez un cancer métastasé, je sais que vous allez mourir. Le but, ce n'est pas de vous guérir mais de vous permettre de vivre le plus longtemps". Quand vous êtes en fin de vie, il y a deux phases. "La pré-agonie : vous allez avoir des hallucinations. Vous pouvez être calme, agité, confus (...). Et puis vous avez l'agonie. Vous pouvez mourir dans les prochaines heures. Vous pouvez avoir des contractions musculaires, des crises d'épilepsie, des râles agoniques. Vous allez avoir des pauses respiratoires et puis ces fameux gasps. Pour les familles, c'est ce qui est le plus difficile à vivre. Qu'est-ce qu'on peut faire ? Qu'est-ce que j'ai comme moyen ? La sédation, c'est un moyen thérapeutique pour diminuer des symptômes intolérables pour les patients, qu'on n'a pu calmer autrement. En fin de vie, c'est d'abord le confort du patient. L'effet secondaire, je ne veux pas être impolie, mais on s'en fout. En fin de vie, c'est la qualité de vie qui prime sur la durée. Alors oui, la sédation peut faire diminuer la durée de l'agonie. La sédation ce n'est pas l'euthanasie, on est là pour être au plus près du patient." 
Thierry Saint-Val, 43 ans, médecin-urgentiste : "Il ne faut pas confondre le soin palliatif avec le soin curatif que l'on apporte de telle manière à éventuellement guérir le patient ou l'amener le plus proche de la guérison. Et à coté, il y a le 'prendre-soin'. La fin de vie, c'est un combat du corps, un combat du médecin avec son patient. Dans le 'prendre-soin', on peut être amené à prendre la main, caresser et après on utilise les thérapeutiques pour soulager. On n'est pas là pour provoquer la mort mais pour soulager".
Jean Goalard, 57 ans, "plus ancien urgentiste à l'hôpital de Bayonne" : "J'étais médecin en smur (service mobile d'urgence et de réanimation, ndlr). J'ai été envoyé sur une personne qui s'était immolée. Elle était brûlée sur le tout le corps au 3e degré, n'avait plus d'oreille (...) Mais cette personne était totalement consciente. Sans soins agressifs, elle serait morte d'étouffement. Elle n'était pas sauvable. J'ai pris la décision de trouver une voie veineuse. Ce qui n'a pas été facile (...) J'ai dit à cet homme que j'allais le soulager, j'ai eu l'impression qu'il m'encourageait. Il s'est arrêté de respirer. Il est mort très rapidement. Dans cette situation, je ne sais pas si la loi peut apporter des solutions".
Marie-Pierre Kuhn, 50 ans, médecin anesthésiste-réanimation : "Je ne peux oublier cet homme de 55 ans dont on me parle en fin d'après midi. On doit le prendre en urgence pour une biopsie de l'estomac. Il est venu trop tard. Les simples sécrétions digestives ne peuvent rester dans son estomac. Je m'entretiens avec le gastro-entérologue. (...) Je l'endors, ça se passe très mal. Avec cette déchirure de l'estomac, de l'air rentre de façon anormale dans son thorax et son abdomen. Cet homme devient totalement déformé, une sorte de bonhomme Michelin. Il est condamné à nécroser de l'intérieur. Il va pourrir de l'intérieur. Je l'installe en salle de réveil. J'appelle le cancérologue. Je demande si ce patient a de la famille. Il n'a ni conjoint, ni enfant. J'appelle sa sœur. Je lui explique que son frère est quand même très défiguré (...). Elle est très impressionnée, choquée. (...) Son visage n'est plus reconnaissable. (...) La sœur s'en va, en me disant qu'elle ne reviendra pas, qu'elle veut garder de lui l'image d'avant. Une heure après, son état s'est encore dégradé. Cet homme en plus de pourrir de l'intérieur va se transformer en poule vivante. Toujours sous sédation profonde, je prépare une injection de curare (substance qui provoque une paralysie des muscles, ndlr)."
  • Mercredi après-midi et jeudi matin : quand l'affaire éclate

Après-midi du mardi 9 août 2011. "C'est pour moi un coup de tonnerre". Michel Glanes, le directeur du centre hospitalier de la Côte basque, est alerté par "un rapport de signalement" de quatre soupçons de faits (d'autres se sont révélés plus tard, certains pas poursuivis). "C'est un traumatisme, personne ne s'y attend. C'est dur aussi parce que ça concerne Nicolas Bonnemaison. Ca a été un traumatisme pour la collectivité".
"Dans notre service, son arrestation a été vécue comme un cataclysme", raconte ce jeudi par visio-conférence Isabelle Virto, 43 ans, médecin-urgentiste au sein de l'hôpital depuis 2005. "On était dans l'incompréhension. Il était très apprécié".
Pierre Brixallis, médecin spécialisé dans les soins palliatifs, est "surpris" quand il apprend l'affaire. D'autant que "sur le moment, je ne sais pas de qui il s'agit". "Au départ, on parle d'une trentaine d'ampoules de curare". Cette substance interdite qui provoque une paralysie des muscles, Nicolas Bonnemaison affirme l'avoir utilisée dans un seul cas.
"Après le signalement, il y a eu énormément de rumeurs. On disait que Nicolas Bonnemaison était malade, presque fou (il a été soigné pour des problèmes de dépression, ndlr)", témoigne à la barre ce jeudi Thierry Saint-Val, "confrère et ami" de l'accusé. "C'est un sujet passionnel, qui a cristallisé des opinions fortes. Il y a eu beaucoup de violence", reconnaissait mercredi le directeur de l'hôpital bayonnais, qui compte près de 3 000 agents dont 350 médecins.
Face à ce traumatisme, "on avait fait un choix dans le service d'être dans le silence pour qu'il n'y ait pas de division". "Nous nous sommes concentrés sur notre travail", raconte Isabelle Virto, qui dit "n'avoir jamais pris publiquement de position".
Et aujourd'hui ? "On n'en entend plus parler", dit son ami également médecin Thierry Saint-Val. Mais l'affaire a laissé des traces. "Certaines (soignantes, nldr) ne me disent plus bonjour aujourd'hui". "Moi je dis qu'il faut apaiser".
Le retour de Nicolas Bonnemaison à l'hôpital avec un contrat administratif à mi-temps de mai  à juillet dernier "a fait débat" avec certaines personnes, "je m'en suis expliqué avec elles", indiquait mercredi le directeur de l'hôpital. "Mais il y avait surtout des avis favorables et peu de contestations".
 

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