jeudi 12 mai 2016

Qui est Gilles Bénichou, l'escroc lyonnais qui a fait tomber Michel Neyret ?

Sa chaise est obstinément vide. Mais à force d'en entendre parler, on croirait presque voir apparaître son visage à la Bruce Willis, crâne rasé et peau hâlée, sillonnée par les rides de la cinquantaine. "Gilles Bénichou semble absent parce que nous ne le voyons pas dans cette salle", a constaté l'un de ses avocats, Philippe Dehapiot, à l'ouverture du procès de Michel Neyret, lundi 2 mai. Drôle de formule pour souligner la bizarrerie de la situation : LE corrupteur présumé de l'ancien numéro 2 de la PJ lyonnaise, l'homme par qui le scandale est arrivé, a tout simplement fait faux bond à la justice. Au dernier moment. Sans prévenir ses conseils.
Le tribunal n'a pas émis de mandat d'amener pour contraindre Gilles Bénichou, remis en liberté sous contrôle judiciaire en juin 2012, à comparaître. Il aurait certainement fallu, pour cela, renvoyer le procès. Le prévenu serait toujours à Villeurbanne (Rhône), sa ville d'origine.
Il faut bien l'avouer : la nouvelle de son absence a provoqué une vague de déception sur les bancs de la presse. Les journalistes espéraient pouvoir comprendre la chute d'un grand flic en rencontrant à l'audience le voyou qui y a principalement œuvré. Gilles Bénichou n'est pas le seul escroc renvoyé devant le tribunal dans ce dossier (son cousin Stéphane Alzraa, en fuite, l'est aussi). Mais ce personnage haut en couleurs apparaît comme un maillon de la chaîne essentiel dans la dégringolade de l'ancien limier.

Une logorrhée compromettante

Dans cette affaire de corruption, les conversations téléphoniques de cet homme à la logorrhée stupéfiante sont centrales. Placé sur écoute dans le cadre d'un trafic de drogue international début 2011, Gilles Bénichou se vante auprès de son interlocuteur – impliqué dans ledit trafic – d'avoir "un joker" au sein de la police lyonnaise, qui "ne peut rien [lui] refuser". Les enquêteurs identifient rapidement Michel Neyret.
A partir de là, l'Inspection générale des services (ex-IGPN), la police des polices, va avoir beaucoup d'éléments à se mettre sous la dent, tant Gilles Bénichou se montre bavard au téléphone, que ce soit avec son ami policier ou ses autres relations. Les bœufs-carottes découvrent avec effarement que Michel Neyret transmet des fiches de police à la demande de cette figure du milieu lyonnais, qu'il voit deux ou trois fois par semaine et qu'il a au téléphone tous les jours. La liste des interventions du gradé pour Gilles Bénichou s'allonge au fil de l'enquête et des conversations. Certaines sont avérées, d'autres sont fantasmées par l'aigrefin. 
"Petit à petit, Gilles Bénichou va se positionner comme un intermédiaire incontournable, pour se faire valoir de tous les côtés", explique à francetv info, Richard Schittly, journaliste au Progrès et auteur d'un livre sur la chute de l'ex-star de l'antigang. Gilles Bénichou présente à Michel Neyret son cousin Stéphane Alzraa, un escroc de haut vol, spécialisé dans la fraude à la taxe carbone, que l'ancien policier dit avoir voulu approcher pour pénétrer "la mafia juive". Au téléphone, Gilles Bénichou raconte à tort et à travers qu'il est "la personne la plus importante au monde pour Michel Neyret", qu'il va devenir le "parrain" de sa fille. 

"Tu me l'as pourri, Michel"

En écoutant le président du tribunal lui rappeler ces propos, Michel Neyret semble tout juste réaliser les risques qu'il a pris en fréquentant de beaucoup trop près cet individu.
Monsieur Bénichou me fait souvent tenir des propos que je n'ai pas tenus. Il utilisait un peu trop souvent mon nom.
Michel Neyret
devant le tribunal correctionnel de Paris
Pendant l'instruction, le commissaire l'avait reconnu : il ne considérait plus Gilles Bénichou comme un informateur mais comme "un ami". "Un ami" avec lequel il s'affichait sans vergogne devant le tout Lyon, ignorant les règles de sécurité de base concernant les informateurs. Ignorait-il que ce "tonton" avait été radié de la liste des indics de la police en 2000 pour son manque de fiabilité ? Connaissait-il le passé judiciaire de cet affairiste, condamné neuf fois, entre 1996 et 2009, pour fraude fiscale, transport de fausse monnaie, extorsions, et séquestration ? En ce qui concerne Gilles Bénichou, l'ancien ponte de la police admet avoir fait preuve d'un certain "aveuglement", volontaire ou non. Le journaliste Richard Shittly dépeint entre les deux hommes une "relation très forte", "un lien d'amitié assez curieux", dont il est "compliqué d'analyser tous les ressorts". Devant les enquêteurs, Michel Neyret dépeint un personnage attachant, aux "valeurs familiales fortes", avec lequel il parle de tout, de ses enfants, de la religion. 

Et puis il y a l'argent. "Depuis que tu lui donnes du fric, c’est plus le même. Parce que monsieur il sort, monsieur il va dépenser (…). Il passe tout dans le champagne, dans ses soirées (…). Ne lui donne plus de monnaie, sinon il va au casino. Il va boire des canons et en paye aux nénettes. Tu me l’as pourri, Michel. (…) Maintenant, il est plus voyou que les autres. Mais arrêtez, arrêtez, il est obnubilé par le fric, le fric, le fric", lâche Nicole Neyret dans une conversation avec Gilles Bénichou. A l'audience, l'épouse, jugée au côté de son mari pour recel de corruption passive, a tenté de minimiser ses propos. Mais les faits sont là. Gilles Bénichou a couvert de cadeaux son bienfaiteur. Séjours dans des villas luxueuses au Maroc, sur la côte d'Azur et en Corse, montres Chopard et Cartier... L'addition s'élève à une "somme un peu inférieure à 30 000 euros", calcule le président. Une marque d'amitié, proportionnelle au niveau de vie de son "amigo", selon Michel Neyret. "Un investissement sur l'avenir", pour Gilles Bénichou.

"Commedia dell'arte"

Car l'escroc ne perd pas de vue son objectif : obtenir des renseignements de la part du policier, qu'il monnaye auprès de ses relations sulfureuses. "Je te vends la vérité", lance Gilles Bénichou à un homme en cavale. Curieuse inversion des rôles. Dans la relation policier-indic, "c'est l'informateur qui doit donner des renseignements, pas l'inverse", souligne au procès un ex-collègue de Michel Neyret. Un retournement de situation symbolisé par une photo, prise sur le tournage des Lyonnais. Michel Neyret, qui connaît bien le réalisateur Olivier Marchal, a obtenu un rôle de figurant pour son ami. Gilles Bénichou, comédien à ses heures, y interprète un gendarme. Pour parfaire son interprétation, il va jusqu'à passer les menottes au commissaire divisionnaire.
Seul le procès semble avoir décillé Michel Neyret sur le double-jeu de son ami. "Je pense que monsieur Benichou a été un grand manipulateur, même si j'ai du mal à l'admettre", souffle-t-il à la barre.
Aujourd'hui, je considère que c'est un ami qui m'a trahi.
Michel Neyret
devant le tribunal correctionnel de Paris
Au fil des débats, l'ancien flic ne mâche plus ses mots à l'égard de l'écornifleur aux Ray Ban, décrit comme un "mythomane", un mégalomane à "l'esprit pervers", un "hâbleur qui connaît par cœur le milieu juif". "Commedia dell'arte", résume pour sa part Nicole Neyret, qui affirme avoir été bernée par Gilles Benichou lorsqu'il l'a emmenée en Suisse pour ouvrir un compte pour elle et son mari (en réalité une société panaméenne dotée d'un compte à Dubaï). "C'est quelqu'un d'assez séduisant et intéressant mais avec tous les risques que ce genre de personnalité peut engendrer", analyse un ancien proche sous couvert d'anonymat. "Quand on se lie d'amitié avec un type comme ça, c'est comme une voiture de course. Si ça dérape, on se prend l'arbre", métaphorise-t-il, convoquant l'image de Michel Neyret au volant d'une Ferrari prêtée par le cousin de Gilles Bénichou, Stéphane Alzraa.

"Une faim de l'argent"

Au téléphone, Gilles Bénichou, qui se targue sur sa fiche d'acteur de s'être formé à l'Actors Studio à New York, se révèle être un vrai caméléon, capable de changer de registre à chaque interlocuteur. Dans son expertise psychologique et psychiatrique, les experts notent que cet "histrion" entretient une séduction réciproque dans ses relations affectives et sociales, tout en étant conscient de ses traits de personnalité manipulateurs. Son principal moteur, selon eux : une "faim de l'argent" née d'une enfance modeste auprès d'un père agent municipal et d'une mère au foyer, quand le reste de la famille était beaucoup plus aisé. 
http://www.francetvinfo.fr/societe/affaire/affaire-neyret/

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