jeudi 12 octobre 2017

Patrick Dils: «On m’a volé quinze ans de ma vie, j'estime que j'ai donné»

Quinze ans après avoir été innocenté par la justice,Patrick Dils revient dans son deuxième livre* sur l’affaire du double meurtre de Montigny-lès-Metz (Moselle) qui lui a « volé quinze ans de [sa] vie ». Il évoque aussi sa « troisième vie », « la plus belle », qu’il a commencé à construire après avoir été innocenté en 2002. Une « vie de monsieur Tout-le-monde », auprès de sa femme et de leurs deux enfants, qui a été ébranlée il y a cinq mois, lorsque le quadragénaire a témoigné au procès de Francis Heaulme à Metz, par visioconférence. Une audition qui a viré à l’interrogatoire acharné et a ravivé les plaies de sa famille.

A quel moment avez-vous décidé d’écrire ce livre, et pour qui l’avez-vous écrit ?

Je suis incapable de dater le début, ça a mûri avec le temps. Si j’ai décidé d’écrire, ce n’est pas pour être à nouveau dans la lumière, mais pour remercier tous les gens qui m’ont soutenu quand j’étais en prison, quand j’en suis sorti, et ceux qui me soutiennent encore aujourd’hui. Je veux leur rendre hommage et leur dire merci, surtout à mes parents, qui ont été exemplaires et combatifs.
Et puis il y a une deuxième raison : à travers mon témoignage, je veux montrer à ceux qui sont intéressés par ma vie qu’il n’y a pas de fatalité. A partir du moment où on a de la détermination, on peut tout faire, si on a de l’espoir. On ne peut peut-être pas déplacer les montagnes, mais on peut les contourner. Il n’y a pas besoin d’avoir fait de la prison ou connu la maladie, tous ceux qui rencontrent des problèmes dans leur vie peuvent se sentir concernés par ce message.

Vous racontez dans ce livre que votre audition comme témoin lors du procès de Francis Heaulme a été éprouvante pour vous et pour votre femme. Comment avez-vous vécu ce moment ?

Je savais que ce serait difficile, mais ça s’est transformé en véritable cauchemar. J’ai très vite senti que je n’étais plus là comme témoin mais comme accusé. J’estime que j’ai donné. On m’a volé quinze ans de ma vie. Aujourd’hui je veux qu’on me fiche la paix, avec ma femme et mes enfants, qui sont mes piliers.

Comment avez-vous vécu la condamnation de Francis Heaulme ? Est-ce la fin d’un chemin de croix judiciaire pour vous ?

Absolument pas, parce que d’une part il n’y a pas eu d’aveu, ni de preuve matérielle. Et puis il a très vite décidé de faire appel, donc tout est remis en question, il n’y a rien de définitif.

Avez-vous l’espoir d’être un jour débarrassé de cette affaire ?

Je suis censé vous dire oui… (silence) Je suis en paix avec moi-même. Mon nom fait partie de l’histoire, mais ça ne m’empêche pas de vivre. Mais j’ai besoin de comprendre, j’ai besoin de la vérité, que ça soit Francis Heaulme, Pierre ou Jacques. Moi je sais que je n’étais pas sur ce talus. Je pense aux familles des victimes, à qui on doit la vérité.

Certains continuent de vous soupçonner de ce double meurtre. Comment vivez-vous ces accusations ?

J’ai été blanchi par la justice. Mais il n’y a pas besoin d’avoir vécu ce que j’ai vécu pour ne pas plaire à tout le monde. Je ne suis pas là pour plaire à tout le monde. Mais je suis un honnête citoyen, je paie mes factures.
>> A lire aussi : Jean-Charles Gonthier. «La justice française a du mal à reconnaître ses erreurs»

Appréhendez-vous le procès en appel de Francis Heaulme ?

Non, car je n’ai rien à me reprocher. Mais je sais que ça ne sera pas une partie de plaisir, ce sera une nouvelle épreuve.

Avez-vous envisagé de changer de nom, notamment pour vos enfants ?

Sûrement pas ! (rires) Je suis très fier de m’appeler Dils. Le temps a démontré qu’on pouvait respecter ce nom, on a gagné. Cette idée ne m’a jamais effleuré ces trente dernières années. Je suis fier de le transmettre à mes enfants, le moment venu je leur dirai qui est leur papa. Ce n’est pas une chose facile, à l’heure actuelle, car ils sont petits et il ne faut pas les blesser.

A quoi ressemble votre vie aujourd’hui ?

C’est une vie simple, respectueuse. Je travaille la semaine, et le week-end je passe du temps en famille. Je profite à 100 % de ma famille, de ma femme, qui est un pilier. Elle m’a donné deux beaux enfants. J’ai tout pour continuer ma vie.

Est-ce qu’il vous arrive de penser à l’adolescent que vous étiez lorsque vous avez été arrêté ?

Oui, bien sûr. Il ne faut pas se leurrer, le Patrick de l’époque, c’est le même Patrick qui vous parle aujourd’hui. Il a mûri, a forgé son caractère. Toutes ces épreuves ont fait de moi l’individu que je suis aujourd’hui. Je ne lui en veux pas [au Patrick adolescent, qui a avoué le double meurtre à plusieurs reprises]. Mes parents m’ont inculqué la sagesse, le respect des autorités et du monde des adultes. Je l’inculque aussi à mes enfants. La haine ne sert à rien, la colère, la vengeance ne servent à rien. Je n’ai pas de temps à perdre.

* Il ne me manque qu’une chose, éditions Michel Lafon, 12 octobre  2017, 18,95 euros.
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