Elle l’appelle par son prénom, comme si c’était l’une de ses amies alors qu’elle n’est que sa compagne d’infortune. En vérité, Morgane Vallée n’a jamais rencontré Marie-Christine Hodeau. Mais, à jamais, un homme rapprochera l’étudiante de 22 ans à celle que les médias ont baptisé « la joggeuse assassinée ». Il s’appelle Manuel Ribeiro da Cruz et, depuis qu’il a avoué le meurtre de Marie-Christine Hodeau après l’avoir enlevée en forêt de Fontainebleau (Seine-et-Marne), il dort à d’une cellule de Fleury-Mérogis (Essonne) en attendant son procès.
Ce 28 septembre 2009, Morgane Vallée ne l’oubliera pas. Ce matin-là, alors qu’elle assiste à l’un de ses cours de la faculté de pharmacie de Tours (Indre-et-Loire), l’étudiante ne se doute pas qu’une assistante maternelle de 42 ans vient d’être kidnappée par l’homme qui l’a elle-même agressée neuf ans plus tôt. Morgane était alors une ado tranquille, qui vivait avec ses parents, son frère et sa sœur dans une maison d’Echilleuses (Loiret). L’un de ses voisins, un trentenaire d’origine portugaise, Manuel da Cruz, a brisé ses rêves d’enfant en la violant. Avec une consigne : « Si tu l’ouvres, t’es morte ! » Morgane a osé braver l’ordre et a raconté son calvaire à ses parents, puis devant les jurés de la cour d’assises du Loiret, en 2002. Da Cruz a été condamné à onze ans d’emprisonnement. Mais a été élargi en 2008 pour… « bonne conduite ». Et est revenu vivre non loin du village de Morgane, avec sa deuxième femme et ses deux enfants. La jeune fille et sa famille ont eu beau prévenir les gendarmes, rien n’y a fait : l’agresseur et sa victime devaient « cohabiter », quitte à ce que la jeune fille s’évanouisse à la vue de la voiture de son bourreau ou fasse « une crise de panique ».
Lorsque le cadavre de Marie-Christine Hodeau a été découvert mercredi 30 septembre 2009 dans un bois de Boissy-aux-Cailles (Seine-et-Marne), Morgane a pris une décision : non seulement, elle ne se taira plus jamais mais, en plus, elle écrira son histoire. La jolie joggeuse blonde, comme elle, a été violée par Manuel da Cruz, rapidement confondu par son ADN et arrêté. Mais la quadragénaire a résisté à son kidnappeur ; elle a même tenté de le faire prendre lorsque, enfermée dans le coffre de sa Peugeot 106, elle a composé le 17 sur son téléphone portable. L’appel – 2 minutes et 17 secondes – a atterri à la gendarmerie la plus proche. Marie-Christine Hodeau, forte d’un sang-froid incroyable, leur a expliqué qu’elle venait d’être enlevée et a révélé le numéro d’immatriculation du véhicule de son agresseur. L’information n’aura malheureusement pas servi à éviter la mort brutale de l’assistance maternelle mais contribué à l’interpellation de da Cruz.
Morgane Vallée, aujourd’hui, ne cache pas sa colère. Comme elle le confie à France-Soir : « Je suis la seule à savoir ce que Marie-Christine a pu ressentir. » Et la jeune fille de 22 ans en est certaine : « il y en a certainement d’autres », écrit-elle dans son ouvrage. Entretien avec une jeune fille qui ne manque pas de courage.
(*) J’ai toujours dit qu’il recommencerait, Morgane Vallée, Oh Editions, 224 p., 18,90 €.
“Je suis la seule à savoir ce qu’elle a dû ressentir”
Propos recueillis par Sandrine Briclot et Nathalie Mazier
France-Soir. Votre livre est-il un témoignage de votre colère ?
Morgane Vallée. J’ai 22 ans, je ne suis pas juge, je ne suis pas ministre, je n’ai aucun pouvoir. Sauf celui d’écrire. Sur le cercueil de Marie-Christine Hodeau, j’ai promis de ne pas l’oublier. Que j’allais faire mon possible pour que la justice ne reproduise pas ses erreurs. J’ai été un cas d’école des ratés dont la justice est capable. Et parce que les paroles s’envolent, j’ai tout expliqué, noir sur blanc, dans ce livre.
F.-S. Vous dites imaginer ce que Marie-Christine Hodeau a dû ressentir, le regard de manuel Da Cruz, notamment, au moment où il la tuait, comme il l’a avoué… Pensez-vous souvent à celle que l’on a surnommée « la joggeuse assassinée » ?
M. V. J’y pense très souvent. Je suis la seule à savoir ce que Marie-Christine a pu ressentir. C’est pour cela que je veux témoigner aujourd’hui. Pour elle. Pour lui rendre hommage et justice. Pour qu’à travers mes paroles, on puisse savoir ce qui lui est arrivé et pour que son crime ne reste pas impuni.
F.-S. L’assassinat de Marie-Christine Hodeau a-t-il réveillé votre propre histoire ? Ou ne vous a-t-elle jamais quittée ?
M. V. Le jour où j’ai appris pour Marie-Christine, je me suis revue à 13 ans… C’est impossible à oublier. Parfois, une odeur, une sensation me reviennent. Il a tué mon adolescence, il a cassé quelque chose dans ma vie mais aussi dans celle de mes proches. Comment oublier l’horreur ? Mais, moi, je suis en vie…
F.-S. Vous pressentez ne pas être la seule victime. Ni la dernière. Pourquoi ?
M. V. Son regard et ses paroles. Je l’entends me dire : « Je sais ce que c’est qu’une vierge. » J’ai toujours dit qu’il recommencerait mais on ne m’a pas écoutée. Comme on n’a pas écouté les deux experts qui disaient la même chose que moi. On a préféré écouter un seul avis : celui qui disait que tout ça c’était sous l’effet de l’alcool… Comme si c’était une excuse. Et voilà le résultat.
F.-S. Pensez-vous que le meurtre de Marie-Christine Hodeau aurait pu être évité ? Et pourquoi ?
M. V. Si on n’avait pas suivi l’expert qui a tout mis sur le compte de l’alcool, si, plutôt, on avait écouté les deux autres experts qui, eux, étaient convaincus qu’il était dangereux, il n’aurait pas été remis dehors. Si il avait été suivi, soigné, si on ne lui avait pas permis de revenir s’installer là où il avait ses habitudes, si on avait veillé à qu’il respecte bien ses obligations à sa sortie de prison, peut-être que ce crime aurait pu ne pas être commis… En tout cas, on aurait fait des choses pour l’éviter. D’accord, il a fait de la prison. Six ans ! Mais le suivi, le traitement, tout ça a été oublié. Et qu’on ne dise pas que c’est impossible. Il faut juste se donner les moyens.
F.-S. Comment vivez-vous aujourd’hui ? Votre ouvrage vous a-t-il permis d’évacuer une partie de votre souffrance ?
M. V. Je vis ! Je suis étudiante en pharmacie. J’ai des amis, des petits copains, je sors. Je ne vais pas lui laisser pourrir toute ma vie ! Ce livre, je l’ai également écrit pour dire à mes proches ce que je ne leur ai jamais dit. Pour qu’ils sachent ce que j’ai vécu, ressenti. Maintenant, c’est dit, une bonne fois pour toutes. J’ai aussi écrit pour toutes les autres filles, celles qui osent parler et celles qui n’osent pas, pour leur prouver que, malgré tout, rien ne nous empêche de continuer de vivre pleinement et de prendre une revanche.
F.-S. Avez-vous un message à adresser aux pouvoirs publics ?
M. V. Ne laissez pas se reproduire les erreurs ! Il faut que la justice ait les moyens de faire appliquer ses décisions. Dans mon cas, il a pu revenir s’installer là où je vivais. Lorsque je l’ai signalé, la seule chose que l’on m’ait dite, c’est : « L’endroit où il est domicilié ne vous regarde pas » ! Pas de moyens, pas de justice. Pareil pour les psys : tout se fait trop vite, sans moyens. L’injustice ne reculera que si on la dénonce, et si on donne à la société les moyens humains et financiers dont elle a besoin.
http://francesoir.fr/faits-divers/morgane-valee-un-cas-d-ecole-des-rates-de-la-justice
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