Avant de clore les débats, la Cour d'assises d'appel de Paris a donné la parole aux accusés, puis aux victimes de l'évasion d'Antonio Ferrara. Aujourd'hui, ce sont les avocats des parties civiles qui ont plaidé. La journée de lundi sera consacrée au réquisitoire des deux avocats généraux. Mardi, mercredi et jeudi plaideront les avocats de la défense. Vendredi matin les accusés pourront encore s'exprimer. Le verdict devrait être rendu dans la nuit de vendredi à samedi. Tenter de convaincre une dernière fois de son innocence ou de son peu de culpabilité, en regard des accusations portées, est un moment extrêmement intense et toujours un peu dangereux pour les mis en cause. Même si ce qu'ils disent n'est pas déterminant puisque les jurés ont désormais une entière connaissance du dossier. Mais un mot de trop, une expression malheureuse, un développement fastidieux ou mal argumenté, fait toujours encourir le risque d'aggraver son cas pour ceux qui jouent en cet instant un acquittement ou une réduction de leur peine. De manière générale, les accusés ont tendance à reprendre un à un, et à les rediscuter, les éléments de leur incrimination alors que ce travail a déjà été accompli lors des précédentes audience, tentant ainsi malgré eux de refaire un procès quasiment terminé. C'est pourquoi nous ne vous donnerons ici que l'essentiel des propos des accusés, certains parlant beaucoup, d'autres très peu.
Karim Achoui
Concernant les visites de ses collaborateurs à Antonio Ferarra : « Parce qu'Antonio Ferrara était à l'isolement il bénéficiait peut-être un peu plus des visites de mes collaborateurs. Mais le cabinet avait la réputation de rendre des visites hebdomadaires aux détenus. Il est possible qu'Antonio Ferrara ait profité d'une situation (un refus de fouille après le départ de Me Sébag, ndlr) qu'il savait possible pour se retrouver au quartier disciplinaire. Mais je n'ai jamais demandé à mes collaborateurs de se rendre à Fresnes dans le cadre de la suggestion à un tiers d'une machination visant à organiser une évasion ». Pour Me Achoui les visites à son cabinet de Moussa Traoré (condamné en première instance) étaient liées à « des dossiers passés et à venir » dont il s'occupait en tant qu'avocat. Quand à la conversation enregistrée sur la messagerie du portable qu'Antonio Ferarra avait oublié dans sa cellule, où les mots « Karim », « Achoui », « le baveux », sont prononcés, l'avocat dit : « Ce sont des propos rapportés. Je ne suis pas responsable des conversations entre plusieurs personnes. Je ne peut être ce « baveux dont on parle pour l'extraction à Créteil et pour l'évasion d'Antonio Ferarra ».
Il explique qu'après son interpellation « ça a été une descente aux enfers. J'ai tout perdu. J'ai perdu mon métier et une partie de mon honneur ». Il dit encore que le Conseil de l'ordre ne l'a jamais poursuivi disciplinairement à la suite de sa première condamnation par la Cour d'assises de Paris, que sa suspension pour cinq ans du droit d'exercer résulte d'une décision de la Cour d'appel de Versailles concernant une affaire de faux qui l'opposait à son ex-épouse. Et qu'« une procédure est en cours auprès de la Cour européenne des Droits de l'homme pour me permettre de réintégrer la profession. Ce que je ne souhaite pas »! A la question d'un juré sur son sentiment de se retrouver du côté des accusés, lui, habitué à être souvent leur avocat, Karim Achoui a répondu : « Je n'imaginais pas que la place de l'accusé était si difficile, si douloureuse. Aujourd'hui j'estime que l'accusé est victime d'un système quand il ne parvient pas à se faire entendre. Il faut se battre pour vaincre la juridiction qui a à vous juger quand vous êtes innocent ».
Zaher Zenatti
Sur le fait que cet accusé - qui comparaît libre depuis que son avocate a réussi à le faire sortir du box en début de procès-, ait affirmé avoir dormi la nuit de l'évasion, le 12 mars 2003, chez sa compagne à la veille de l'accouchement de celle-ci. Puis, lors d'une autre audition, qu'il avait passé en réalité la nuit chez sa mère, Zaher Zenatti a indiqué : « Lorsque j'ai été interpellé en 2003 dans l'affaire de Champs- sur - Marne (un braquage raté préparé un mois après la belle de Ferarra, ndlr), j'ai dit que j'étais chez moi la nuit de l'évasion puisque ma femme s'apprêtait à accoucher. Lorsqu'on m'a remis en garde à vue, en 2005, on m'a parlé de Di Mino. Parce qu'il aurait dit que j'étais au garage le matin de l'évasion alors que j'avais declaré que j'étais chez moi. J'ai alors dit que j'avais dormi chez ma mère parce que j'avais peur que la police aille chercher ma femmes et mes filles qui n'avaient rien à voir là-dedans ». A propos de Antonio Di Mino Zaher Zenatti a expliqué : « Ce Monsieur ne dit pas la même chose en 2003, en 2008, en 2010. Il ment. Ce qui m'a stupéfait c'est que l'accusation ait cru que ma mère était allée le voir pour exercer des pressions sur lui. Ma mère était très malade. Elle a 70 ans ».
Les armes retrouvées dans un box automobile dont une qui a servie pour l'évasion ? « Je n'étais pas au courant », a assuré de nouveau l'accusé. Le chargeur de Kalachnikov découvert dans une armoire du garage de Di Mino où travaillait Zaher Zenatti ? « Là non plus je ne le savais pas, a dit ce dernier. Et maintenant j'apprends qu'il y avait un troisième chargeur que Di Mino a jeté dans une poubelle » ! Puis, Me Clarisse Serre est intervenue pour poser des questions à son client : « Est-il exact que vous avez demandé une confrontation avec Di Mino et que celle-ci vous a été refusé », a demandé l'avocate? « Oui, et j'avais aussi demandé une confrontation avec Madame R. (ex compagne du garagiste Di Mino, ndlr). Tout cela m'a été refusé », a indiqué Zaher Zenatti. L'avocate : « Est-il exact qu'on vous a toujours refusé les actes que vous demandiez parce que le parquet disait que la famille Zenatti faisait des pressions sur monsieur Di Mino »? L'accusé a de nouveau acquiescé. L'avocate : « Est-ce que vous comprenez pourquoi le ministère public a retenu la complicité d'homicide volontaire » ? L'accusé : « Non, je ne comprends pas parce qu'au départ j'étais renvoyé pour délit connexe à l'affaire. Puis on m'a renvoyé aux assises, puis remis en délit connexe, puis de nouveau renvoyé aux assises ». Enfin, Zahir Zenatti a déclaré : « Il m'est extrêmement difficile de faire le deuil autant de ma vie carcérale que judiciaire. J'assume pour l'affaire de champs mais pas pour celle de l'évasion. J'ai une fille qui a sept ans et demi et une autre qui a onze ans. Je viens de les retrouver. Franchement, je suis perdu » !
Bachir Airouche
Acquitté en première instance, et renvoyé en apel par le parquet, il comparaissait libre. Concernant deux armes découvertes chez lui lors de son interpellation pour l'affaire de Champs- sur- Marne, et dont une a été utilisée pour l'évasion d'Antonio Ferrara, Bachir Airouche a expliqué : « Lorsque j'ai été interpellé le 10 mai 2003, j'ai dit à la police que cette arme m'appartenait...Jusqu'à ce que, deux ans après, le juge d'instruction me dise que cette arme avait servi à Fresnes. A partir de ce moment-là, comme j'étais innocent et que je ne voulais pas être impliqué, j'ai dis que cette arme n'était pas à moi. Que je l'avais trouvée, avec l'autre, dans un camion que j'utilisais. Admettons que je m'en sois servi. Ce sont des professionnels qui utilisent ce type d'arme (un pistolet HS 95, ndlr). J'aurai tiré sur Fresnes et gardé cette arme sur moi alors qu'on sait bien que dans ce type d'affaire il faut se débarrasser tout de suite des armes » ? En conclusion Bachir Airouche a ajouté : « J'ai déconné. Mais j'ai perdu confiance en la justice. J'ai confiance en les jurés. J'attends qu'on reconnaisse mon innocence ».
Karim Bouabbas
A propos de ses conversations téléphoniques avec Moussa Traoré et Dominique Battini - inaudibles du public lorsqu'elles ont été diffusées au tribunal-, que l'accusation considère comme étant la phase initiale de la préparation de l'évasion d'Antonio Ferrara, l'accusé a de nouveau déclaré : « Cela ne concernait que des voitures ». Karim Bouabbas est ensuite revenu sur l'accusation du surveillant pénitentiaire complice, Hocine Kroziz, qui affirme qu'un jour où il accompagnait l'accusé au greffe de la maison d'arrêt de Fresnes, celui-ci lui aurait confié que Dominique Battini était l'un des motards entièrement casqué qu'avait rencontré Kroziz sur un parking. Bouabbas a soutenu lors des débats, et encore hier, qu'il était alors « détenu particulièrement surveillé » et qu'il devait y avoir forcément une trace administrative de sa conduite au greffe. Prenant la parole, l'avocat général Françoise Mothes lui a lancé : « J'ai demandé au directeur de la maison de Fresnes comment se passait l'accompagnement d'un détenu. Il m'a dit qu'il n'y a pas de traces administratives. Le surveillant est muni d'un billet qui est ensuite détruit » ! Karim Bouabbas avait présenté un passeport sur lequel figure la mention de son passage au Maroc du 1er au 14 mars 2003, et prouvant ainsi qu'il n'était pas en France la nuit de l'évasion, le 12 mars. Mais cette preuve a été mise en doute par l'accusation. Au début du procès les avocats de l'accusé ont indiqué qu'ils allaient contacter les douanes marocaines pour obtenir une copie de la fiche remplie par leur client dans l'avion venant de France. Mais il semble que cela n'ait pas été possible. « On a fait la demande, a dit Karim Bouabbas. Mais la fiche manuscrite, ils ne la fournissent pas. Même pas une copie. On ne peut avoir qu'une attestation mais il faut une commission rogatoire... Honnêtement, je suis tellement fatigué de tout cela ! »
Hamed Illouli
C'est également le surveillant pénitentiaire, Yocine Kroziz, qui incrimine cet accusé. Il affirme que celui-ci l'a abordé avec Youssef Laksiri (condamné en première instance), près d'un centre commercial afin de le charger d'un message pour Antonio Ferrara. Kroziz affirme aussi qu'Illouli lui a demandé comment envoyer « Le petit » au quartier disciplinaire. C'est à lui que Kroziz aurait indiqué le 11 mars 2003 qu'Antonio Ferrara avait été placé au quartier disciplinaire. « D'abord, Monsieur Kroziz est un drôle de personnage, a indiqué Hamed Illouli qui passe un peu pour l'intellectuel du box. C'est quelqu'un de très intelligent contrairement à l'impression qu'il peut donner. J'ai eu l'occasion de lire et de relire les déclarations de Monsieur Kroziz. Je vais faire une réflexion un peu déplacée mais j'ai regardé un documentaire sur la vie de Francis Heaulme. De nombreux psychiatres ont essayé de comprendre la personnalité de Heaulme. Le seul qui y soit parvenu était un gendarme qui depuis s'est suicidé. Je ne dis pas que Monsieur Kroziz est Francis Heaulme. Mais Monsieur Kroziz est très pervers. C'est quelqu'un qui porte des accusations jamais directement. C'est toujours indirectement. Insidieusement. Il a même essayé de mettre en cause des collègues et pas que Monsieur Bistol. C'était un gradé très influent. Un de ses collègues a même déclaré : « J'avais très peur de lui ». Il biaise. Vous l'avez vu ici. Il parle pendant dix minutes et après on a oublié la question qui lui était posée. Il fait comme les hommes politiques ! »
Hamid Hakkard
C'est l'avocat général Françoise Mothes qui a surtout parlé lors de ce qui devait être le rôle de l'accusé. Un accusé qui ne fait pas partie, il est vrai, des plus « causants » de ce procès. « On a retrouvé un certain nombre de faux papiers chez vous, plus deux pistolets, a-t-elle dit. Vous n'avez pas été poursuivi. Ca s'est perdu...Vous avez eu de la chance. Chez vous, à Paris, on a retrouvé une somme en liquide de 350 000 euros et vous avez eu quatre ans de prison. D'où venait cet argent ? » L'accusé a répondu : « J'en ai déjà parlé et j'ai été condamné pour cela ». « Et les écoutes de la fin 2002 où vous avez reconnu être l'interlocuteur de Karim Bouabbas », a demandé l'avocat général ? « Je me suis déjà expliqué, a reprécisé Hamid Hakkard. J'ai pas grand-chose à rajouter. »
Antonio Ferrara
Le président Hervé Stéphan : « Vous avez déclaré que vous saviez tout mais que vous ne diriez rien. Vous n'avez pas remords » ? Antonio Ferrara : « Des remords? Ca veut dire quoi ? Ce que j'ai dit, c'était à un moment précis. A ce stade des débats j'ai expliqué comment je m'étais évadé, je vous ai parlé de Saint- Raphaël. Je n'ai rien à ajouter » !
La parole a ensuite été passée aux deux surveillants pénitentiaires victimes de l'évasion d'Antonio Ferrara. Damien Delmotte s'est perdu dans des détails de procédure dont il était difficile de retenir une substance. Dominique Prado a en revanche été plus directe. « Je n'ai pas grand-chose à dire, a-t-elle déclaré. Sauf que je ne connaîtrai jamais la vérité. Malheureusement, sept ans après, il y a des choses qu'on ne saura jamais. J'ai cru comprendre que Monsieur Bouabbas savait des choses qu'il ne pouvait pas dire. On sent une solidarité. J'aurai voulu que chacun prenne ses responsabilités et les assume. Je n'ai pas de haine mais je souffre énormément. J'ai essayé de tenir pour ce procès mais je le supporte très mal. On a quand même envie de savoir comment les choses se sont passées! Je suis très déçue parce que je n'en sais pas plus. Antonio Ferrara et ses copains, ses potes comme il les appelle, prennent autant de risques pour le sortir de prison. Il les couvre. Il a raison. Mais ce n'est pas une bonne chose pour moi ».
Antonio Ferrara, s'adressant à l'ancienne surveillante pénitentiaire : « Je sais que vous n'avez aucune haine contre nous. Mais ne croyez pas qu'on s'en fou de ce qui vous est arrivé. J'assume ma part de responsabilité. Je comprends vos souffrances et je n'assimile pas les miennes aux vôtres. Je suis désolé de ne pouvoir en faire plus. Je voulais vous dire que ni moi, ni mes potes comme vous dites, n'avons de haine contre vous ». Dominique Battini, habituellement en retrait et qui, pour mémoire, a perdu un œil au cours de l'évasion, a tenu lui aussi à présenter ses excuses à Dominique Prado. « Ma souffrance à moi je l'ai cherché, a-t-il reconnu. Vous, vous ne l'avez pas cherché. J'espère que vous vous remettrez ! » Hamed Illouli a de son côté lancé à l'ancienne surveillante : « Madame Prado, vous ne pouvez pas dire que ce procès ne vous a rien appris, car vous avez au moins appris le nom du collègue qui vous a trahi. Cette personne a été condamnée très lourdement. Je pense que c'est
une bonne chose » ! Quant à Karim Bouabbas, il a indiqué : « Je suis sincèrement désolé mais je ne sais pas ce que fais là » !
http://chroniquesjudiciaires.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/10/15/proces-de-l-evasion-de-ferrara-la-belle-de-la-belle-17.html
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