vendredi 12 novembre 2010

"Vous n'aviez pourtant pas honte lorsque vous réceptionniez le matériel hi-fi et le home cinéma

Faux bons de commande, factures maquillées et manipulations informatiques sont les ingrédients d'une escroquerie rondement menée par un employé du service comptable d'un grand hôpital parisien, jugé début novembre par le tribunal correctionnel de Paris. Serge *, 25 ans, avait été engagé en qualité d'agent public pour une mission ponctuelle : gérer les subventions affectées au centre antipoison de l'établissement. Pendant près de trois ans, servi par la tranquillité et la confiance de ses collègues, il a flambé la vie : voiture à 30.000 euros, home cinéma à 45.000 euros, outillages divers pour 100.000 euros, séjours à Monaco... le tout, aux frais de l'Assistance publique.


"Les subventions n'étaient plus utilisées, se défend naïvement le prévenu.


- Vous souvenez-vous de la première fois où vous êtes entré dans cette logique ? interroge l'avocat de l'APHP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), intrigué par cette remarque décalée.


Long silence.


- J'ai acheté du matériel pour des travaux chez moi.


- Vous vous êtes donc dit je vais émettre un bon de commande au nom de l'hôpital pour mon usage personnel ?"


Silence.


- Il y a eu une deuxième fois, puis une troisième... puis une quarantième fois, insiste l'avocat : comment rentre-t-on dans l'engrenage ?"


Pas de réponse.




- Vous étiez deux dans le service, explique l'avocat. Lorsque vous partiez en vacances, vous demandiez à votre collègue de ne pas ouvrir le courrier. Un jour, elle a dû s'absenter et se faire remplacer ponctuellement. La remplaçante a ouvert le courrier, elle est tombée sur des factures de sacs à dos achetés chez Décathlon.




Silence. L'avocat poursuit :




"Autant je peux entendre j'ai une maison à rénover, je dois acheter du matériel et je n'en ai pas les moyens, autant je n'arrive pas à comprendre le besoin d'articles de sport ou d'une chambre à 830 euros dans un hôtel monégasque. Êtes-vous joueur, Monsieur ?


Serge fait signe que non.


"Votre femme travaille, vous êtes le père d'un enfant de six ans, avez-vous au moins fait un travail sur vous ?


- Oui, répond Serge d'une voix sanglotante.


- Lequel ? Vous consultez un psychothérapeute ?


- Je travaille sur moi... tout seul


- Ça n'a pas l'air de suffire... Et votre femme, elle est au courant de ce qui vous arrive ?


- En partie, murmure-t-il entre deux larmes. J'ai honte.


- Vous n'aviez pourtant pas honte lorsque vous réceptionniez le matériel hi-fi et le home cinéma ! D'ailleurs, que disait votre femme à ce moment-là ? Elle n'était pas surprise de voir arriver tous ces appareils à la maison ?


- Je les mettais dans la cave...


- Vous avez donc une grande cave ! J'imagine que vous y mettiez aussi tous les outils que vous avez commandés. Je doute d'ailleurs que vous aviez besoin de 100.000 euros d'outils pour rénover votre maison. Votre beau-frère a bien une entreprise de construction-rénovation ?


- Oui, mais la commande était pour moi..."


La présidente prend le relais :


"La facture d'Europcar est datée d'un samedi. (...) Je vois que vous aviez rajouté cette société de location à la liste des fournisseurs de l'hôpital.


- C'est pathétique et grave, plaide l'avocat de l'assistance publique. Vous avez devant vous un homme effondré, non pas en raison de ce qu'il a fait, mais parce qu'il en mesure aujourd'hui les conséquences. Il s'est bâti un monde virtuel, il a organisé sa vie dans la fraude. Cela a commencé par un marteau et quelques clous. Puis, de l'utilitaire, il est passé au somptuaire."


Se tournant vers l'homme :


"Ne pensez-vous pas qu'en tant que responsable d'une mission de service public dans un hôpital, vous auriez dû mettre votre intelligence au service de l'honnêteté ?"


Le jeune homme baisse les yeux. La pesanteur du dossier se fait plus oppressante alors que la lumière du jour décline. Cela fait deux heures que le tribunal égrène les turpitudes de Serge, dont les sanglots ne semblent émouvoir personne.


"Serge F. a détourné des fonds destinés à des traitements médicaux, déplore la procureure. Il a mis beaucoup d'intelligence et d'énergie pour détourner cet argent, c'est une infraction grave punie de 10 ans d'emprisonnement." Elle requiert deux ans de prison assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve et l'interdiction définitive d'exercer une fonction publique.


"Mon client a reconnu les faits, souligne son avocat. Il a pris conscience de ses actes. Il a plongé dans l'engrenage et le regrette amèrement. (...) Mais aujourd'hui, il travaille, il gère une société de machines à distribuer des boissons et gagne 2.000 euros par mois. Il est prêt à rembourser sa dette en prélevant chaque mois une fraction de son salaire."


Trois semaines plus tard, le tribunal condamnera Serge à deux ans de prison assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant trois ans. Il devra notamment indemniser l'APHP à hauteur de 163.600 euros. Tout emploi public lui sera interdit pendant cinq ans.


http://www.lepoint.fr/chroniques-ete-carnets-justice/vous-n-aviez-pourtant-pas-honte-lorsque-vous-receptionniez-le-materiel-hi-fi-et-le-home-cinema-10-11-2010-1260919_195.php

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