lundi 27 décembre 2010

Affaire Terrasson : le procès d'ici à l'été

Les quatre personnalités soupçonnées d'avoir voulu spolier Jeanine Terrasson sont renvoyées devant le tribunal correctionnel. Toutes plaident leur innocence


Attendue depuis plusieurs mois, l'ordonnance mettant un terme à l'instruction de l'affaire Terrasson est tombée le 22 décembre. Sans surprise aucune. Conformément aux réquisitions du procureur, les juges d'instruction Sophie Pétriat et Jean-Michel Gentil ont renvoyé devant le tribunal correctionnel de Bordeaux la voyante Nicole Dumont, son ami le banquier François-Xavier Bordeaux, Jean-François Lhérété, l'ancien directeur des affaires culturelles de la ville de Bordeaux et l'avocate, Me Martine Moulin-Boudard, l'ex-adjointe d'Alain Juppé.


Tous devront répondre d'abus de faiblesse, d'association de malfaiteurs et d'abus de confiance aggravé sur la personne de Jeanine Terrasson, une richissime octogénaire du quartier des Chartrons. Me Martine Moulin-Boudard est en outre poursuivie pour violation du secret professionnel. Elle est soupçonnée d'avoir communiqué à Nicole Dumont des informations relatives à Jeanine Terrasson. Elle avait assuré la défense de la vieille dame devant le tribunal d'instance lorsque celle-ci avait contesté son placement sous tutelle.






Légatrice universelle


Elles se connaissaient depuis longtemps. Mais ce n'est qu'en 2005 que Nicole Dumont avait renoué des relations avec Jeanine Terrasson. Alors âgée de 82 ans, cette dernière ne percevait qu'une maigre pension mais elle était propriétaire de plusieurs maisons et appartements, possédait une collection d'objets mobiliers évaluée à plusieurs millions d'euros et détenait des comptes en Suisse. En avril 2005, quelques mois après leurs retrouvailles, le notaire bordelais, Me Dambier, enregistrait le dernier testament de Jeanine Terrasson. Celle-ci faisait de la voyante sa légatrice universelle.


Intrigué par les allées et venues de Nicole Dumont et François-Xavier Bordeaux (1), un commerçant du quartier, Jean-Marie Trassy, n'avait pas tardé à alerter les deux neveux de Jeanine Terrasson. Même s'ils ne fréquentaient plus leur tante depuis fort longtemps, ils avaient immédiatement demandé son placement sous tutelle. Une mesure accordée d'autant plus facilement que dès septembre 2004, un scanner cérébral avait révélé que l'octogénaire souffrait d'un début de maladie d'Alzheimer.


La peur du tuteur


L'activisme de Jean-Marie Trassy, la nomination d'un tuteur et la réapparition des neveux avaient incité Nicole Dumont à faire quelque peu le vide autour de Jeanine Terrasson. Après l'avoir installée dans un appartement cossu du cours Xavier-Arnozan, la voyante avait dispersé son mobilier. Des meubles avaient été dissimulés dans un box loué sous un faux nom, des bijoux cachés chez un voisin. Nicole Dumont avait aussi stocké au domicile de Jean-François Lhérété divers objets qu'elle ne savait pas où entreposer.


Ayant obtenu de Jeanine Terrasson, les mandats et les procurations nécessaires, Nicole Dumont avait accédé à ses différents comptes bancaires. À Bordeaux, comme en Suisse. Elle avait procédé à des retraits importants de façon à pouvoir subvenir aux besoins de l'octogénaire et à payer le personnel de maison qui l'entourait. Lors de ses démarches, la voyante était parfois accompagnée de François-Xavier Bordeaux ou Jean-François Lhérété. Pendant ce temps, Me Moulin-Boudard suivait la procédure engagée devant le tribunal d'instance pour faire lever la mesure de protection.


Un « faux » testament ?


Jeanine Terrasson étant sous tutelle, nul ne pouvait s'immiscer dans la gestion de ses biens. Nicole Dumont soutient pourtant qu'elle en avait le droit. Pour plusieurs raisons : c'était la volonté de la vieille dame, le tuteur brillait par son absence et elle disposait de deux testaments. L'un signé devant notaire en 2005, l'autre rédigé à la date du 18 février 2004 quelques mois avant que ne soit découverte la maladie d'Alzheimer de Jeanine Terrasson.


« Les différents testaments sont des actes obtenus d'une personne âgée, particulièrement vulnérable et isolée de tous ses proches. Ils sont sans la moindre valeur », relèvent les juges d'instruction dans leur ordonnance de renvoi. Les magistrats estiment en outre que celui de 2004 est ni plus ni moins qu'un « faux » ayant été établi à une époque où les deux femmes n'avaient pas encore repris de relations, Jeanine Terrasson étant qui plus est partie passer trois mois en Suisse. L'issue du procès qui se tiendra avant l'été dépendra de la réponse apportée à la question de la validité des testaments.


L'état de santé en question


Mais cela ne sera pas le seul point à faire débat. Quelle était la santé mentale de Jeanine Terrasson au moment ou ont eu lieu les faits reprochés aux mis en examen ? « L'ensemble des certificats expertises et témoignages attestent d'une maladie apparente en raison de ses pertes de mémoire signe d'un dysfonctionnement physique ou mental », écrivent les deux magistrats instructeurs. Dès le mois de mars 2005, le Dr Pierre Boueilh constatait « un affaiblissement intellectuel sévère en rapport avec la maladie d'Alzheimer ». Six mois plus tard, l'expert psychiatre Goumilloux dépeignait des « troubles amnésiques très importants ». Mais les avis sont pourtant loin d'être unanimes.


« Elle reste encore très cohérente et n'a pas de trouble de la compréhension », indiquait en mars 2006 le docteur Dumont, désigné par le juge des tutelles. Entendue par la police en juillet 2006, l'infirmière de l'octogénaire disait même qu'elle avait « l'esprit alerte ». L'enquêteur avait d'ailleurs conclu que la vieille dame ne courait aucun danger. Le procès qui s'annonce sera à l'évidence beaucoup plus contradictoire que peut le laisser penser la lecture des 130 pages de l'ordonnance de renvoi.


(1) Malgré plusieurs tentatives, nous n'avons pas réussi à joindre François-Xavier Bordeaux hier.


Me Arnaud Dupin, avocat de Jean-François Lhérété


« Jean-François Lhérété connaissait bien Nicole Dumont. Mais il ne voyait pratiquement jamais Jeanine Terrasson. Il n'a passé que fort peu de temps avec elle. Beaucoup moins sans doute que son notaire ou le fonctionnaire de police qui l'a longuement entendue. Eux n'ont jamais décelé sa vulnérabilité. Mais qu'importe, on le reproche à Jean-François Lhérété et on le poursuit pour abus de faiblesse alors qu'il a même avancé de l'argent pour aider Jeanine Terrasson.


Il a prêté des sommes importantes, qu'il ne reverra sans doute pas, à Nicole Dumont pour qu'elle puisse s'occuper d'elle. Il ne s'est jamais rien approprié et il n'a tiré aucun bénéficie de quoi que ce soit. Quand on regarde tout cela, il y a de quoi être effrayé par ce mécanisme infernal qui a fait de lui, à tort, l'un des protagonistes de ce dossier. »


Me Christophe Dejean,


avocat de Nicole Dumont


« Pendant plusieurs années, la justice a dissimulé l'existence d'une première enquête de police effectuée en 2006, année ou se sont produits les faits reprochés à ma cliente. Et pour cause, ces investigations concluaient à l'absence de culpabilité des prévenus, l'enquêteur ayant même écrit qu'il n'y avait aucune mise en danger de Jeanine Terrasson. Nous avons obtenu in extremis que cette enquête soit versée à la procédure. Mais l'ordonnance de renvoi n'en a tenu aucun compte.


Depuis le début, ce dossier a été davantage guidé par un souffle mal inspiré que par le raisonnement. Il pourrait bien être qualifié dans quelques années, ce qui apparaît désormais, de nouvel Outreau. Il n'y aura qu'une réponse à cette mise en accusation : la relaxe pleine et entière de Nicole Dumont devant le tribunal correctionnel. »


Mes Daniel Lalanne et Jean Gonthier, avocats de Martine Moulin-Boudard


« Nous sommes très étonnés et surpris d'être interrogés aujourd'hui sur l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, relative à l'affaire Terrasson. Car en tant qu'avocats de Martine Moulin-Boudard, nous n'avons pas encore reçu le document. Néanmoins, nous tenons à signaler que nous n'avons aucun commentaire public à faire au sujet de cette ordonnance. Notre cliente est innocente et l'enquête, ainsi que l'instruction violente et à de nombreux moments iniques, dont elle a fait l'objet recevront les défenses et les critiques qu'elle mérite en temps et heure. »

http://www.sudouest.fr/2010/12/27/affaire-terrasson-le-proces-d-ici-l-ete-276315-625.php

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