mercredi 22 juin 2011

Cour d'assises / Demoulin, la fin des illusions

Les jurés ont condamné ce chauffeur-routier à douze ans de réclusion pour avoir, pendant des années, violé ses deux belles-filles, mineures au moment des faits.

LORSQU'IL n'était encore qu'accusé, William Demoulin ne s'est jamais complu dans son malheur. Sur cette enfance épouvantable, passée avec un père violent, un psychiatre avait pourtant eu cette formule : « Il a été élevé dans un quart-monde où les repères moraux ne sont pas les mêmes ». Lundi, à sa première prise de parole, il avait dit dans son box : « Je reconnais les faits ». Ceux-ci étaient graves : viols et agressions sexuelles répétés pendant des années sur Amélie et Vanessa qui, au début, n'avaient pas quinze ans. Second facteur aggravant : l'homme, aujourd'hui âgé de 34 ans, avait épousé la mère des deux demi-sœurs*. Conséquences : la première, « déficiente mentale légère », a subi une IVG à 13 ans. Idem pour Vanessa qui, trois ans plus tard, eut un enfant de son beau-père.
Désormais âgées de 19 et 25 ans, les deux jeunes femmes, encore broyées par le traumatisme subi entre 1999 et 2005, se sont révélées dans l'impossibilité de raconter à la barre ce huis clos familial hors normes, se contentant de réitérer, avec très peu de mots, leurs accusations. Hier matin, un expert a dit d'Amélie : « Elle n'exprime aucune souffrance, elle ne sait pas exprimer ce qu'elle ressent ».
Hier matin, à l'invitation du président Gilles Latapie, le prévenu a été plus loin dans l'aveu de culpabilité : « Je m'aperçois que j'ai commis beaucoup d'erreurs irréparables, impardonnables […] Vanessa ? Je regrette d'avoir mal interprété certains de ses gestes, le fait qu'elle ne manifeste pas de refus. Amélie ? Je n'ai pas de justification plausible, c'est quelque chose qui n'aurait jamais dû se produire. En tant qu'adulte, j'aurais dû éviter tout ça. » Au grand désarroi de son avocat, Me Rasquin-Amat, l'introspection s'est poursuivie : « Je suis rentré dans cette famille à l'âge de 23 ans, je n'avais pas la maturité suffisante pour tenir mon rôle de beau-père ». Loin donc de la thèse des rapports consentis que la défense espérait développer.

« Elles étaient en chemise de nuit »
Sur la reconnaissance très progressive de sa responsabilité, William Demoulin justifie : « En prison, je vois un psychologue depuis 20 mois, il y a eu des réflexions […] Je ne peux pas leur jeter la pierre, c'est moi le fautif ». Puis le président a tenté d'éclairer les zones d'ombre persistantes sur le déroulement des faits.
- Mais à la maison, comment avez-vous pu gérer cette situation entre ces trois femmes ?
- …
- Non mais expliquez-nous, Monsieur… Vous faisiez comment entre Amélie et Vanessa ? C'était quoi, les semaines paires et impaires ? Des pulsions ?
- C'est parce qu'elles étaient en chemise de nuit ?
- C'était physique, c'était les formes… Oui, elles étaient en chemise de nuit.
- ...
- Je ne pensais pas que l'autorité de beau-père était un facteur aggravant.
- Et pour la minorité des victimes ?
- J'étais au courant.
- Aujourd'hui, de quoi avez-vous conscience ?
- D'avoir mal agi, d'avoir fait beaucoup de torts.
- Bon. Vous reconnaissez les faits qui vous sont reprochés pour Amélie ?
- Oui.
- Et pour Vanessa ?
- Idem.
- Et aujourd'hui, est-ce que vous avez quelque chose à leur dire ?
- Tout ce que je pourrais dire n'atténuera pas la douleur qu'elles ont endurée… Je m'excuse quand même des souffrances commises.

« Un calvaire pour moi aussi »
La voix n'a pas tremblé. Gilles Latapie semble s'accorder un moment de réflexion sur le chemin que semble avoir parcouru par l'homme au teint pâle qui soutient son regard, l'air fataliste et résigné. Celui-là même qui, en 2007, lorsque son premier avocat lui avait demandé : « Comment décririez-vous Vanessa ? », avait eu cette réplique saisissante : « Elle était grande, elle faisait un 85 B ».
Comment, enfin, ne pas raconter l'audience sans évoquer le témoignage, ou plutôt non-témoignage, de la mère des deux victimes ? Sur toutes ces années, tous ces viols qu'elle n'a pas vus ou voulu voir, celle qui partageait le lit de William Demoulin l'a encore clamé : « Je ne savais rien du tout !» Quand une nuit, elle demanda à son mari pourquoi il quittait le lit, elle se contenta de ces mots : « Je vais voir si les chats ne sont pas à l'étage ». Lorsqu'elle eut écho que son mari ait pu mettre sa fille enceinte - et que cette dernière avait donc dû avorter -, elle déclara au juge d'instruction : « Ce jour-là, William était rentré tard et parti tôt le lendemain. Après, je n'ai plus pensé à lui demander ». Il s'en est fallu de peu pour qu'elle soit poursuivie pour non-dénonciation de crime. « Je crois quand même que vous auriez pu éviter pas mal de choses, Madame !», s'agaça Me Chopplet. L'avocate des parties civiles enchaîna avec virulence : « Pour vos filles, vous savez que tout ça, ce procès, c'est un calvaire? ». « Pour moi aussi », répliqua d'une voix atone cette petite dame aux cheveux très noirs.
Déclaré coupable, William Demoulin a été condamné, hier, à 12 ans de réclusion avec mandat de dépôt, 5 ans de suivi socio-judiciaire avec injonction de soins. Au titre du préjudice moral, il devra verser 13.000 euros à chacune de ses deux victimes. A l'énoncé du verdict, personne n'a bronché. Peut-être parce que plus personne ne se faisait d'illusions.

* Une proximité qui n'a rien d'étonnante dans les affaires de ce type : Véronique Le Goaziou, dans son livre Le Viol, aspects sociologiques d'un crime, avait démontré que le violeur, pour sa victime, est rarement un inconnu. Dans 47% des cas étudiés, l'acte est commis par quelqu'un de la famille, père, beau-père, oncle, parrain ou ami proche des parents.

http://www.lunion.presse.fr/article/ardennes/cour-dassises-demoulin-la-fin-des-illusions

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