jeudi 22 décembre 2011

Le Morvandiau dont Paris parla

à Saint-Prix en 1822, Claude Montcharmont aurait dû appartenir à ce long et émouvant cortège d’anonymes qui nous précèdent sur le chemin de l’existence, et qui dorment de leur éternel sommeil dans les cimetières que nous fleurissons, quand reviennent les bises de novembre. Rien ne le prédisposait à inscrire sa vie dans le registre de la tragédie. Ce paysan du Morvan, devenu maréchal-ferrant, aimait la chasse. Il était intelligent, altruiste. Tout au plus était-il appelé à taper du poing sur la table, au cabaret du coin, pour contrer des adversaires politiques. Mais quand Dame Fatalité s’en mêle, tout va de travers… Au terme de querelles électorales, l’amoureux de la chasse se voit refuser son permis. Devenu braconnier, il est condamné à 6 mois de prison.

L’homme des bois traqué

Dès lors prêt à tout pour échapper à la prison, il fuit la société des hommes et se réfugie au cœur des bois. Il ne fait plus que quelques furtives apparitions, chez ses parents ou chez de proches amis. Il surgit à la tombée de la nuit ou au petit matin. Il vient à la hâte se réapprovisionner en nourriture, en poudre, pour son fusil.
7 novembre 1850 : les gendarmes Emery et Brouet, de la brigade d’Autun, sont appelés à Saint-Prix. Parvenus à la Grande-Verrière, ils se dirigent vers la Petite-Chaux, le hameau où demeure le père de Claude. Soudain, ils aperçoivent un individu, porteur d’un fusil et d’un carnier. Ils se jettent à sa poursuite et le rattrapent. Celui-ci leur lance un ultimatum : « N’approchez pas ou je fais feu ! » Ils approchent. Alors, l’individu tire et s’enfuit. Brouet, quoique blessé, tente de le rattraper mais il n’en a pas la force. Il ne tarde pas à rejoindre Emery. C’est pour recueillir son dernier soupir. Pour ce meurtre et cette tentative de meurtre, Montcharmont est condamné par contumace. Deux jours plus tard, François Gauthey est en train de dîner chez lui, en compagnie de sa femme et de ses enfants. Montcharmont le hait : Gauthey lui a dressé des procès qui ont valu une condamnation à la prison et il le rend responsable de la mort de sa chienne.
Un coup frappé à la porte. Le bruit d’une détonation. Gauthey tombe. Tué sur le coup. La veuve n’a eu aucun mal à identifier le meurtrier de son mari. Véloce, le braconnier s’est déjà enfui dans la nuit.

Dans les grands bois, les grands froids

Pour Montcharmont devenu criminel, c’est à nouveau la solitude doublée de l’angoisse car il se sait recherché. L’amoureux des immensités désolées va-t-il résister aux rigueurs de l’hiver du Morvan ? Même si toute une chaîne de solidarité s’est installée autour du rebelle assassin traqué par la police et la justice, sa position devient rapidement intenable. Il décide alors de faire route vers Sennecey. Empruntant les petits chemins, il y parvient le 4 décembre. Son idée est d’aller à Lyon, de s’y faire embaucher comme domestique. Mais il est reconnu, arrêté.
Le procès de Claude Montcharmont s’ouvre le 29 mars 1851 à Chalon. Qui juge-t-on ? Une bête sauvage ? Un forcené sanguinaire ? Une victime, prise dans un engrenage maudit et infernal, qui, à la suite d’une série de tragiques imbroglios, a commis erreur sur erreur, bévue sur bévue ? Lisons plutôt le portrait que fait du prévenu le journal L’illustration, en 1851 : « Le braconnier Montcharmont est un petit homme de quatre pieds et demi tout au plus ; mais de larges épaules, un cou court et gros annoncent chez lui une force physique peu ordinaire ; il est blond, il a le teint rose et frais, sa physionomie est douce et mélancolique ; il a les mains blanches et fines et un certain air de finesse et de distinction ; il a la tête grosse, ronde, de grands yeux gris clair que la peur rend hagards ; sa voix est étranglée ; tout son ensemble respire un air de terreur indescriptible. Son attitude consternée, son abattement, la mollesse, on peut dire même la lâcheté de sa tenue à l’audience, démentent complètement ce farouche assassin qui a tenu durant près de deux mois la population de tout un arrondissement sous la terreur de son nom et de ses menaces. » Lors de son procès qui sera très suivi par des chroniqueurs venus de toute la France, Montcharmont se montrera brillant, jouera d’un humour frisant parfois l’insolence.
Condamné à mort, il est conduit à l’échafaud le 10 mai 1851. Mais l’homme des bois se débattra avec une telle énergie qu’il rendra impossible le travail des bourreaux : devant une foule effarée, il faudra le reconduire ensanglanté à sa prison. A la demande du procureur de la République, les exécuteurs sont renvoyés, on appelle le bourreau de Dijon, et c’est lui qui viendra à bout de Claude Montcharmont. Dans son journal, L’Événement, Charles Hugo s’en prend aux maladroits bourreaux, aux magistrats et aux législateurs, écrivant : « Vos guillotines sont aussi mal faites que vos lois. » Son journal est aussitôt saisi. Victor Hugo monta alors à son tour au créneau pour tenter de réhabiliter la mémoire de Claude Montcharmont, l’énigmatique braconnier morvandiau.
http://www.bienpublic.com/faits-divers/2011/12/18/le-morvandiau-dont-paris-parla

Albine novarino-Pothier

Anthologiste et écrivain, Albine Novarino-Pothier a publié notamment Les Grandes affaires criminelles de Saône-et-Loire et Les Grandes affaires criminelles du Rhône aux éditions de Borée.

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