samedi 28 avril 2012

Naufrage conjugal : transfert de culpabilité

Battue par son compagnon, cette femme, dans un parfait déni de réalité, n'a pas pu réaliser la gravité de ce qu'elle avait subi. Un exemple qui a rappelé les difficultés qu'ont parfois les victimes de violences à se reconnaître comme telles.

DANS la salle d'audience, ils ont encore en commun une amertume qui pince les lèvres et la tristesse qui brouille le regard.
La désagrégation de leur union a creusé leurs visages, aussi. Ce jeudi après-midi, Jordan est dans le box, Gaëlle bientôt à la barre.
Quelques semaines plus tôt, après « pas mal de whisky » consommés dans le centre-ville carolo, ils se sont insultés. Et déchirés.
L'homme a voulu la ramener chez lui. A fini par la traîner par les cheveux, si brutalement que « plusieurs touffes » ont été retrouvées.
Jordan a également frappé Gaëlle plusieurs fois au visage. « Une volée de coups de poings », préciseront les enquêteurs.
Une voisine tente de s'interposer. En vain.
Arrivés sur place, les policiers n'ont d'autre choix que de défoncer la porte. Et découvrent, selon le procureur, une « scène d'horreur » : « Du sang sur le sol, une femme terrorisée sur le canapé et un homme menaçant avec un couteau à la main. »
Verdict : six jours d'ITT pour Gaëlle, sur qui le médecin relève aussi des « traces plus anciennes d'hématomes ».
Placé depuis en détention provisoire, le prévenu, dans son box, rentre les épaules : « Je ne me souviens plus des faits. » Le regard du président se noircit : « Ah, c'est bizarre… Ce n'est pas un peu commode, aussi, de ne pas se rappeler ? »

« C'est un peu ma faute aussi… »
Jordan minaude : « Je voulais juste qu'on s'explique chez moi. » Questionnée sur la « sauvagerie » de son agression, il baisse la tête comme un enfant pris en faute : « C'est sans doute dû à l'accumulation de nos conflits ».
Le président appelle Gaëlle à venir témoigner. « J'ai mal au cœur de le voir derrière, là… », commence-t-elle.
On pressent déjà la suite : « C'est un peu ma faute aussi, je regrette d'avoir porté plainte… L'amour, il est là. Jordan, il n'a jamais été violent mais le problème, c'est l'alcool. Le problème, c'est que j'ai eu un concubin violent pendant dix ans, et là, c'est Jordan qui paie pour lui… Ce soir-là, c'est moi qui lui ai sauté dessus et griffé au visage.
- Et à vos yeux, ça justifierait ce qu'il a commis après ?
- Non mais bon, c'est aussi ma faute.


- Madame, nous avons malheureusement l'habitude, dans ce tribunal, d'entendre ce genre de discours dans des affaires de violences conjugales. Votre fils de 12 ans a dit aux policiers qu'il vous a déjà vu prendre un coup-de-poing. Vous ne croyez pas que votre premier devoir, ce serait de protéger votre enfant ?
- Bien sûr, bien sûr… Je m'excuse pour tout.
- Vous ne croyez que ce que vous dites Madame, c'est le monde à l'envers ? Que c'est une autorisation que vous donnez au prévenu de recommencer ?
- Non, parce que je me connais. Plusieurs fois, on a essayé de se séparer mais après quelques jours, on n'y arrive pas. L'amour, il est là !
- Bien, Madame. »


Le président laisse s'installer le silence. Puis d'une voix parfaitement neutre, évoque le passé judiciaire de Jordan : dix condamnations, dont quatre pour violences.
Il a déjà été condamné pour violences sur une ancienne compagne et, pour cela, comparaît en état de récidive.
L'expert psychiatrique croit savoir que « Jordan a toujours peur d'être berné ou abandonné ».
Ce que l'intéressé confirme. Avant d'ajouter : « Mon problème, c'est que quand j'étais petit, c'est ma mère qui tapait mon père. J'ai ça enfoui en moi. »
Avec lucidité, l'avocate de Gaëlle résume : « Je suis dans une position bien difficile… Dans ce dossier, c'est la victime qui demande pardon à son bourreau […] Ma cliente me dit : je ne veux rien. Mais moi, je veux quelque chose pour elle : qu'elle comprenne qu'elle est la victime et qu'elle soit reconnue comme telle. »
A son tour, la substitut du procureur regrette : « C'est tout juste si la cliente n'accuse pas les policiers de l'empêcher de retirer sa plainte […] Elle est submergée par ses sentiments, certes respectables. Mais à un moment, il faut revenir à la réalité. »


Un dessin du fils
Et, peine-plancher oblige, requiert deux ans de prison - dont six mois avec sursis - avec mandat de dépôt, obligation de soins et de rechercher du travail.
L'avocat de Jordan minimise sans grande finesse « une affaire assez banale où il y a eu des coups réciproques, je rappelle que mon client a eu aussi un certificat médical. […] Les traces d'hématomes anciens chez cette jeune femme ? Les coups laissent des traces, on ne sait pas de quand celles-ci peuvent dater. Des scènes de ménage, il y en a tous les jours. Il y aurait 10 % de femmes battues en France, je le regrette infiniment […] mais dans cette affaire, on n'est quand même pas aux assises. »
Et conclut en sortant un dessin du fils de la plaignante représentant sous un jour favorable son « beau-père ».
Jordan est condamné à deux ans de prison - dont un avec sursis - et mandat de dépôt, ainsi que l'obligation de se faire soigner.
A l'issue du verdict, Gaëlle, sur le banc des parties civiles, bascule sa tête en arrière, dépitée


http://www.lunion.presse.fr/article/ardennes/naufrage-conjugal-transfert-de-culpabilite

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