vendredi 15 juin 2012

La cour d’assises suspendue à la voix de Marina

 Si tu avais un grand secret, tu le dirais?

— Non.

— Tu le garderais pour toi? Même si c’est un secret qui fait mal? »

La fillette se tait.

Il est un peu plus de 15h18, ce 23 juillet 2008. L’image projetée hier sur un mur de la cour d’assises de la Sarthe vient de faire surgir Marina dans la salle d’audience où chacun se fige, bouleversé. Marina et les mots, aujourd’hui insoutenables, d’une petite fille de 7 ans à l’air enjoué, qui cache la vérité de ce qu’elle endure pour protéger ses parents avec de drôles de rires aigus. Vêtue d’une blouse rose et d’une jupe blanche, cheveux coiffés, la gamine se tortille sur un siège, assise entre deux gendarmes. Elle répond aux questions de l’enquêtrice d’une brigade spécialisée dans l’audition des mineurs victimes. L’entretien, filmé comme la loi l’exige, fait suite au seul et unique signalement judiciaire pour maltraitances qui a précédé son décès, en août 2009, après d’ultimes violences infligées par ses parents. Dans le box des accusés, où ils répondent d’actes de torture et de barbarie ayant entraîné la
, la mère de Marina, Virginie Darras, en pleurs, se cache le visage dans les mains ; le père, Eric Sabatier, a joint les siennes. Il fixe l’écran, tremblant.

La femme gendarme explique à l’enfant : « Tu es là parce que mes collègues ont reçu des papiers qui disent que tu as des cicatrices sur ton corps. Est-ce que des gens te font mal? » Marina : « C’est parce qu’Olivia*, elle me tape.
*, il me tape aussi (NDLR : ses cadets.)

— Les bobos que tu as?

— Parce que je tombe dehors. […] Je joue avec mon frère Aurélien* (NDLR : son aîné). Y avait une pierre, chu tombée sur la pierre. »

La gendarme énumère alors, avec des mots simples, les « très nombreuses lésions d’allure ancienne » relevées par le médecin légiste qui l’a examinée. Leur « nombre est fortement suspect », estimait le praticien, concluant ne « pouvoir exclure des faits de violence ou de mauvais traitements ». La cicatrice sur la cuisse? « C’est le chien, euh, il m’a sauté dessus », répond encore Marina. Le dos? « Ben chu tombée dans les escaliers, la nuit dans le noir. » Le front? « Chu tombée dans les escaliers. » Au bras, demande l’enquêtrice, où la marque d’une brûlure « semi-récente » de 12 cm sur 6 apparaît? « J’ai pris une douche, j’avais mis trop chaud. » Et ton doigt-là, plié à la main droite? « Chu tombée de la chaise quand j’étais petite », assure encore la fillette, qui a aussi une explication pour sa trace de blessure au talon.

Les questions se précisent. Marina, qui rit beaucoup, se balance d’avant en arrière, se levant presque de son siège.

« Elle donne pas des coups de poing maman?

— Non jamais. […]

— Il n’y a rien de bizarre?

— Non, jamais. »

Mais ces bleus, que les instituteurs voient quand elle arrive à l’école, toutes ces traces?

« A cause de que je tombe. Je me cogne dans tous les murs! » plaisante-t-elle.

« Personne te fait du mal alors? » insiste la gendarme.

Il est 15h56, ce 15 juillet 2008. Marina a alors cette seule réponse ambiguë qui pourrait désigner ses parents : « Non, sauf mon papa, sauf maman. Mon papa y tape pas. Ma maman aussi. »

A la cour qui lui demande si lui et sa femme avaient exercé des pressions sur leur fille avant son audition, Eric Sabatier rapporte que Marina aurait d’elle-même assuré : « Papa, maman, j’dirais rien. » L’enquête ouverte par ce signalement sera classée sans suite par le parquet du Mans en octobre 2008. Une erreur, une faille aux conséquences tragiques, parmi les dizaines d’autres que les débats ont fait apparaître, depuis l’ouverture du procès, dans la chaîne d’intervention des services sociaux.

* Les prénoms ont été changés.



http://www.leparisien.fr/faits-divers/la-cour-d-assises-suspendue-a-la-voix-de-marina-15-06-2012-2050208.php

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