lundi 2 septembre 2013

Affaire Mazières : Duo infernal pour un parricide

Cinq jours pour comprendre un parricide. À partir de lundi, les jurés la cour d’assises des mineurs de Paris vont assister à un duel à huis clos, entre les deux accusés de l’assassinat de Bernard Mazières. L’ancien journaliste politique de L’Express et du Parisien a été tué dans la nuit du 23 au 24 décembre 2010 à son domicile parisien du 6e arrondissement. Il avait 60 ans. Pour l’accusation, c’est son fils L. Mazières, 17 ans et demi à l’époque, qui a conçu l’idée et son ami Dany Manfoumbi, alors âgé de 25 ans, qui s’est chargé de la réalisation. Bernard Mazières a été frappé au crâne à coups de marteau et poignardé à la gorge. Mais malgré deux ans et demi d’enquête, cet assassinat d’une violence inouïe reste une "énigme psychopathologique", selon l’ordonnance de mise en accusation. Pourquoi L., ado des beaux quartiers caressant comme d’autres le fantasme de "tuer le père", est-il passé à l’acte? Pourquoi Dany l’y a aidé, "sans raison", a-t-il dit au juge Jean-Louis Jouve?

"L’un sans l’autre, rien ne se serait passé"

Autour de quels ressorts s’est noué le pacte de sang entre ces deux garçons, dont aucun n’avait l’ascendant sur l’autre? Deux faces d’un miroir, partageant une intelligence "supérieure à la normale", une personnalité "narcissique" et une paternité dérangeante. L. Mazières encourt vingt ans de réclusion criminelle ; Dany, la perpétuité. Pour se prononcer, les jurés devront démêler "des éléments familiaux et des mécanismes psychologiques très complexes", estime Me Grégoire Lafarge, le défenseur du fils Mazières. Comprendre cette "synergie toxique, et finalement létale. Car l’un sans l’autre, rien ne se serait passé", selon Me Richard Valeanu, avocat des parties civiles, dont la soeur de la victime et ses cousins. Une famille "interdite, choquée", et deux ans et demi après les faits, toujours à la recherche d’un mobile.
Les jurés vont avoir la lourde tâche de dénouer les responsabilités de l’un et de l’autre. Car si les deux "amis" ont vite avoué, le tableau initial s’est nuancé. Au fil des mois derrière les barreaux de Fleury- Mérogis, L. Mazières a "minoré son rôle", selon le juge. Il ne serait plus "l’instigateur du meurtre" et s’il reconnaît "une préparation", il n’en revendique pas "le projet". Il a eu "une idée morbide", qui est "passée entre les mains de la mauvaise personne". Selon lui, Dany aurait commis cet acte "pour assouvir ses besoins meurtriers". "Lui se serait laissé 'engrener', dit-il, dans un processus qui n’était pas [s]on choix et qui ne [lui] convenait pas". Ensuite, il n’avait "plus les commandes […], ne maîtrisai[t] plus rien." Ses avocats vont dresser le portrait d’un gosse dont personne n’aurait mesuré la souffrance. Dont les parents ont divorcé lorsqu’il avait 3 ans. Dont les bonnes relations avec un père brillant, mais noceur, se sont dégradées en 2009. Qui, touché par la perte de son grand-père maternel en 2010, a sombré dans la dépression, l’absentéisme scolaire, les sorties et les excès. Qui raconte trois disputes violentes à ce sujet avec ce père qui l’a "toujours renié dans ce qu’il était". Un conflit qui s’envenime… Jusqu’à "l’impasse" : "C’était soit lui, soit moi", dit le jeune homme aux enquêteurs.

Il n’était pas son père biologique

L. Mazières s’est construit sur un non-dit, pourront argumenter ses avocats. Les analyses ADN réalisées pendant l’enquête ont révélé fortuitement que Bernard Mazières n’était pas son père biologique. Il l’a appris, par sa mère, au cours d’un parloir prolongé. Celle-ci a confié aux enquêteurs avoir "eu une intuition, quatre ou cinq ans auparavant sans en avoir jamais eu la preuve". Qui connaissait ce lourd secret? "Bernard est mort en étant persuadé que c’était son fils", assure un proche. Mais les experts considèrent ce "doute familial inconscient sur la filiation" comme un élément de personnalité "notable".
À ce portrait, la défense du fils de bonne famille opposera en miroir l’inquiétant profil de Dany Manfoumbi. Un jeune homme accro aux antidépresseurs, qui se vantait devant ses copains d’avoir tailladé à la machette la gorge d’un dealer, agression qui lui a valu une condamnation à trente mois de prison ferme en octobre 2011. Les experts soulignent la "dangerosité criminologique élevée" de ce garçon grandi au Gabon, enfant victime d’abus sexuels, qui n’a rejoint sa mère et son beau-père en France qu’à l’âge de 8 ans ; ils notent son "goût de l’extrême violence et la complaisance, sinon la jouissance avec laquelle il décrit le regard de peur dans les yeux de sa première victime, son indifférence face à la souffrance de Bernard Mazières auquel il s’est adressé au moment de l’achever".
Dany Manfoumbi ne nie rien. Mais il insiste : ce n’est pas lui "l’instigateur". Pour le démontrer, ses avocats, Mes Jean- Michel Leblanc et Éric Dupond-Moretti, s’appuieront sur l’agenda des jours précédant l’assassinat. Le 8 décembre 2010, le fils Mazières demande à Dany s’il connaît "un produit qui peut tuer une personne". Le 14, il le questionne sur "un moyen pour tuer sa tante". Puis il lui avoue qu’il s’agit en réalité de son père. Dany offre son aide. Pour lui, ce n’était alors "qu’un jeu de rôle". Il ne pensait pas qu’il "passerait à l’acte". Aux policiers, Dany soutient que c’est son complice qui imagine le plan : une agression dans la rue, après un dîner au restaurant avec son père, le vol du portefeuille comme mobile. Le 23 décembre, ensemble, ils achètent un marteau, des gants et un cutter. Ce soir-là, c’est encore L. qui appelle son père, à l’issue d’un dîner, pour le prévenir qu’un ami monte à l’appartement récupérer un casque audio… scellant leur destin.
 

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