jeudi 24 octobre 2013

Procès du Dr Muller : "Vous êtes chutologue ou balisticien ?"

Elles font face aux bancs de la presse dans l'immense salle aux boiseries blondes des assises de Meurthe-et-Moselle, mercredi 23 octobre à Nancy. Deux planches sur des tréteaux que Jean-Louis Muller et son nouvel avocat Eric Dupond-Moretti ont eux-mêmes disposées à une suspension d'audience. "C'est tout juste s'il ne faut pas faire de la menuiserie", grogne l'homme à la robe noire. La fameuse table sur laquelle le train électrique des enfants était installé, et devant laquelle Brigitte Muller a été retrouvée une balle dans la tête au sous-sol de sa maison d'Ingwiller (Bas-Rhin) le 8 novembre 1999 est maintenant face à la cour.

Aucune reconstitution n'a jamais été organisée sur les lieux des faits comme le réclame l'ancien médecin accusé du meurtre de sa femme. Lors de son deuxième procès, il avait d'ailleurs décidé de garder le silence en signe de protestation. Pour ce troisième round, Jean-Louis Muller a obtenu de faire au moins venir la table dans la salle d'audience. Grâce à elle, la défense entend montrer qu'il n'a matériellement pas pu tuer sa femme, étant donné l'étroitesse de la pièce, les dimensions imposantes de la table et le tracé des projections de sang.

"Où est-ce que le tireur peut se trouver ?", demande Eric Dupond-Moretti à l'expert en balistique qui l'a rejoint près de la table en forme de L. "Il y a deux possibilités selon moi. Derrière vous, si vous êtes la victime", répond Yves Roelandt, rigolard, en braquant le "revolver de marque Ruger de calibre 357 Magnum" qui a tué Brigitte Muller sur la tempe de l'avocat. "Dans ce cas, il n'y a pas de traces de sang ou de matières organiques derrière vous ?" interroge ce dernier. "Non", concède l'expert. "Deuxième possibilité : de l'autre côté de la table, mais compte tenu de sa taille – je la vois pour la première fois – ça me parait difficile." Dans son box, Jean-Louis Muller, muet, boit du petit lait et jette des regards triomphants vers la salle

"Là on quitte le scientifique pour l'aléa"

L'expert juge "difficilement compatible" la position de l'arme avec l'hypothèse d'un suicide. Eric Dupond-Moretti bouillonne : "Est-ce que l'arme peut tomber sur la table ? Est-ce qu'elle peut rebondir ? Vous êtes chutologue ou balisticien ? Là on quitte le scientifique pour l'aléa", tonne l'avocat. Il souligne une fois encore la faiblesse des preuves matérielles et la prudence des expertises, qui se cantonnent dans l'ensemble à affirmer que suicide comme meurtre ne sont "ni exclus ni prouvés". "Mais l'accusation, ce n'est pas des hypothèses!", pointe encore l'avocat.
La tirade a le don de mettre l'avocat général Jacques Santarelli hors de lui. Dénonçant une "simili reconstitution" puis un "attrape-couillon" en secouant sa crinière blanche et sa robe rouge, il descend tout de même de son estrade pour mimer à son tour le supposé meurtre devant la table. Cette fois, la mise en scène est bien sûr destinée à montrer que la présence d'un tireur est tout à fait possible. "Il n'y a pas de faits, il n'y a que des interprétations", lance le magistrat en se rasseyant. La riposte des bancs de la défense arrive quelques minutes après sous la forme d'une autre citation de Nietzsche. "Je vais faire un cadeau à monsieur l'avocat général qui m'est finalement sympathique", s'amuse Eric Dupond-Moretti. "Ce qui rend fou ce n'est pas le doute, c'est la certitude."

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