mercredi 30 octobre 2013

Remis en liberté d’office

Le principe est gravé dans le marbre de la Convention européenne des droits de l’homme : toute personne mise en cause a le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Le 18 octobre dernier, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux, présidée par Bernard Vallée, en a fait une application stricte. Elle a ordonné l’élargissement immédiat d’un trafiquant présumé de stupéfiants. Son avocat, Me Charles Dufranc, n’avait pu prendre connaissance de son dossier que la veille de sa comparution devant le juge de la liberté et de la détention. Au mépris des textes qui prévoient que la procédure doit être mise à la disposition du conseil quatre jours avant l’audience.
Repris de justice
Âgé de 48 ans, le détenu remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire est fiché depuis de nombreuses années. Sans avoir le profil de l’ennemi public numéro un, ce n’est pas non plus un enfant de chœur. Condamné à deux reprises à des peines de prison ferme, notamment pour arrestation et séquestration, il appartient à une famille dont le nom a surgi à plusieurs reprises dans des affaires de drogue. Avec son frère et son neveu, il est actuellement mis en examen dans le cadre d’un trafic de cannabis et de cocaïne entre le Maroc et la France qui transitait par le sud des Landes.
Au mois de mai dernier, il a été écroué après la découverte de has-chich à son domicile et l’identification de son ADN sur une valise ayant contenu près de 70 kilos de stupéfiants. Au regard de son casier judiciaire, il y avait de fortes chances pour qu’il comparaisse détenu lors de son procès ou qu’il végète encore de longs mois derrière les barreaux. Mais un coup de vent inattendu, généré par un « bug » né dans les couloirs du palais de justice de Bordeaux, l’a propulsé à l’air libre.
Si l’on se fie aux propos convenus qui encombrent les audiences solennelles de rentrée des tribunaux, les membres de la grande famille judiciaire sont unis comme les doigts de la main. Derrière le rideau, la réalité est bien souvent autre. Entre avocats et magistrats, la méfiance reste tenace comme du chiendent. « L’arrêt de la chambre de l’instruction résonne comme une décision de principe. Mais elle illustre aussi les tracasseries administratives que nous subissons. À plus forte raison si l’on est jeune et commis d’office », insiste Me Charles Dufranc.
Un dossier de 14 tomes
Le 17 septembre, le juge de la liberté et de la détention (JLD) constate l’absence de l’avocat initialement choisi par le trafiquant présumé au moment où il doit statuer sur le renouvellement de son mandat de dépôt. Le mis en examen souhaite être assisté par un nouveau conseil. L’audience est reportée et le JLD sollicite aussitôt le bâtonnier afin qu’il commette d’office un autre avocat. Désigné, Me Charles Dufranc est aussitôt convoqué pour l’audience du 26 septembre.
Dès le 18 septembre, il demande immédiatement à consulter le dossier fort de 14 tomes. Le JLD ne l’a pas. Il est conservé dans un bureau voisin par la juge d’instruction Marie-Noëlle Billaud. Celle-ci refuse d’abaisser le pont-levis et invite l’avocat à écrire à son client pour recueillir son autorisation. « Il n’y avait pas lieu de le faire puisque la désignation de ce conseil en qualité d’avocat d’office pour le débat contradictoire était avérée », déplore la chambre de l’instruction. Les lenteurs pénitentiaires et postales étant ce qu’elles sont, la réponse ne reviendra au courrier que le 24 septembre. Et ce n’est que le 25, la veille de l’audience, que Me Dufranc obtiendra le droit de communiquer avec son client. « Quelque part, cela fait penser à la maison qui rend fou dans “Les Douze Travaux d’Astérix” », ironise le jeune pénaliste.

http://www.sudouest.fr/2013/10/30/remis-en-liberte-d-office-1214593-2780.php

Aucun commentaire: