mardi 19 novembre 2013

Lunel : seize ans après, un crime jugé pour la troisième fois

Deux nouveaux accusés jugés demain pour l’assassinat d’un jeune trafiquant de haschich, sur fond d’erreur judiciaire.
Un troisième procès pour un même assassinat. Deux nouveaux accusés pour un même crime, là où deux précédents suspects ont déjà été condamnés. Le procès qui s’ouvre demain devant la cour d’assises de l’Hérault est un étrange ovni judiciaire.
Lardé de 107 coups de couteau
Au cœur des débats, la mort ultraviolente d’Abdelaziz Jhilal, un Lunellois de 17 ans, retrouvé lardé de 107 coups de couteau, portés par au moins deux armes différentes, le 22 décembre 1997, sur un chemin proche de la cité pescalune. Un garçon qui à l’époque était très actif dans le milieu du trafic de haschich, et qui avait réceptionné ce soir-là cinq kilos de résine de cannabis.
Deux revendeurs seront rapidement arrêtés par les gendarmes : Abdelkader Azzimani et Brahin El Jabri, qui malgré leurs dénégations seront condamnés, pour complicité de meurtre à 20 ans de prison en appel, par la cour d’assises des Pyrénées-Orientales, en juin 2004.
De l'ADN sur une chaussette de la victime
Problème : rouverte en 2009, l’enquête a fini par mettre en cause deux nouveaux suspects. L’un d’eux, Michel Boulma, un manutentionnaire de 34 ans, est désigné par son ADN, découvert dans la voiture et sur une chaussette de la victime. L’autre, Bouziane Hélaili, 32 ans, qui dirigeait le centre de loisir de Lunel, que rien d’autre n’accuse, sinon les déclarations de Michel Boulma, a reconnu avoir été dans la voiture de la victime ce soir-là.
Problème : les deux hommes se rejettent la responsabilité du crime, et leurs déclarations ne sont pas conformes aux éléments du dossier. Autre particularité : tous deux ont totalement innocenté Azzimani et El Jabri, qui ont purgé une lourde peine de prison à leur place. Fait rarissime : ils ont obtenu la révision de leur procès, et seront rejugés l’an prochain par la cour d’assises du Gard. Et ils viendront témoigner, cette semaine, face à ceux qui auraient pu les innocenter, et se sont tu pendant tant d’années.
"Ce silence a rongé sa vie, il a une culpabilité énorme"
"J’espère qu’on ne va pas nous faire payer cette erreur judiciaire" insiste Me Anthony Chabert, avocat de Michel Boulma. "Ce silence a rongé sa vie, il a une culpabilité énorme. Il faut que les jurés se replacent 16 ans en arrière, pour juger le gamin de 18 ans qu’il était à l’époque".
A la défense de Bouziane Hélaili, Me Iris Christol insiste sur l’attitude de cet accusé, "contre lequel il n’y a aucun élément. Il est là parce qu’il a décidé d’être là. Il dit qu’il a une espèce de dette, dont il essaie de s’acquitter. Il l’a portée pendant 14 ans, et le jour où on est enfin venu le chercher, il s’en est libéré." L’avocate le souligne : "il a commis la faute de sa lâcheté, mais il est sur le chemin de la rédemption."
"Ce sera une épreuve pour cette famille"
Des propos qui laissent dubitatif Me Bruno Ferri, l’avocat nîmois partie civile pour la famille d’Abdelaziz Jhilal. Avec ses clients, il est le seul des protagonistes de ce procès à avoir vécu les deux premières audiences, qui ont peut-être condamné deux innocents. "Ce sera une épreuve pour cette famille, qui va pour la troisième fois à un procès criminel. Ils espèrent qu’ils n’ont pas participé à une erreur judiciaire. Mais ils s’interrogent sur ce que disent les deux accusés. S’ils veulent absolument soulager leur conscience, pourquoi leurs versions ne sont-elles pas conformes au dossier ?"
Bien des incertitudes planent sur ce procès, d’où la vérité pourrait surgir à l’audience. À moins qu’elle ne s’efface à jamais, comme le craint un proche du dossier : "On est dans un milieu de dealers où à l’époque, tous les coups étaient permis. Et dont plus personne ne veut parler aujourd’hui."

http://www.midilibre.fr/2013/11/18/seize-ans-apres-un-crime-juge-pour-latroisieme-fois,785050.php

Aucun commentaire: