jeudi 19 juin 2014

Euthanasie : le cours magistral du professeur Sicard au procès Bonnemaison

Didier Sicard, 76 ans, professeur de médecine à et ancien du Comité national consultatif d'éthique (CNCE), est l'une des éminences grises, en , de la réflexion sur la fin de vie et l'euthanasie. C'est à cet homme que le Président François Hollande, soucieux d'éclairer le débat sur une éventuelle réforme de la loi Léonetti de 2005, a confié une mission d'évaluation sur ces sujets.

 Son rapport, rendu en décembre 2012, n'a pour l'heure pas connu de suites.

C'est aussi au professeur Sicard que la cour d'assises des Pyrénées-Atlantiques,
qui juge à Pau depuis six jours l'ex-urgentiste bayonnais Nicolas Bonnemaison pour sept cas d'«empoisonnements» présumés, a donné la parole mercredi, au lendemain du témoignage du député Jean Leonetti.
«Ma surprise, c'est que je ne vois pas comment ce procès concerne la question de société de l'euthanasie», débute ce témoin, cité par l'accusation, qui en précise d'emblée la définition: «L'acte de donner la mort à un patient à sa demande ou à celle de sa famille» - ce que la loi française interdit. Le professeur, qui rappelle que le CNCE s'était prononcé, quand il le dirigeait, en faveur d'une «exception d'euthanasie» qui n'a «jamais été retenue», entame alors un passionnant exposé.

De «l'indifférence générale» à la «réflexion éthique»

«La médecine a toujours, depuis des temps immémoriaux, aidé à mourir», débute-t-il, en brossant un historique des évolutions depuis quarante ans. Dans les années 1970, les praticiens usaient de «cocktails lytiques», rappelle le professeur. «Ces actes, qui pouvaient entraîner le décès très rapidement, étaient pratiqués dans l'indifférence générale. Dans le silence des prétoires et de la société. L'hôpital était alors un lieu fermé et opaque», souligne-t-il.

Les années 1980 voient apparaître la réflexion éthique, le CNCE est créé: «La médecine s'est ressaisie; les actes d'injections de médicaments ont diminué radicalement. La conscience collective a réalisé qu'ils ne pouvaient être pratiqués dans une sorte de désinvolture, parce qu'ils étaient d'une gravité extrême», explique-t-il.

«La fin de vie est laissée à l'improvisation»

La décennie 2000 est marquée par l'intervention du législateur avec les lois Kouchner (2002) puis Leonetti (2005). Pour Didier Sicard, la première a eu pour vertu de «rétablir l'équilibre entre la société et la médecine». Il salue la seconde, «très réputée à l'étranger» et «de grande qualité», parce qu'elle définit des «choix clairs» sur la fin de vie. Mais déplore le fait qu'elle reste «ignorée par la plupart des médecins et par le grand public», à l'exception «des lieux où «la fin de vie est une réalité quotidienne.».

Du coup, à l'heure où près de 70% des gens meurent à l'hôpital, «la fin de vie est laissée à l'improvisation des équipes médicales. Et le plus grave dans cette improvisation, c'est que le médecin est laissé tout seul. Comme si la société se débarrassait de ces personnes sur un ou deux médecins.»

Cette même société, dans le même temps, est devenue «intolérante à l'agonie», poursuit Didier Sicard: «L'idée est qu'une agonie ne doit pas durer. Que les mourants ne doivent pas trop embarrasser les vivants.» Ce contexte, cette «pression de la société sur l'hôpital, aboutit à ce que des médecins se retrouvent en situation de radicalité», conclut-il, en évoquant ainsi, tacitement, le cas du docteur Bonnemaison.

Qu'enfin cesse «la clandestinité»

Le professeur s'est gardé, a-t-il prévenu, de se pencher sur le dossier de ce dernier. Il dit seulement: «Ce procès est celui de l'indifférence hospitalière. Laisser un médecin tout seul, en lui abandonnant les malades les plus graves, peut aboutir à ce genre de désastre.» Lui voudrait, pour que l'affaire puisse avoir «un sens pour la société», que «la médecine affronte cette capacité d'aider à mourir»; que les actes de «sédation en phase terminale», opérés avec des «calmants» puissent l'être «de façon plus transparentes.» Qu'enfin cesse «la clandestinité».

L’ex-docteur Bonnemaison est jugé aux assises de Pau jusqu’au 27 juin.
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