mardi 3 février 2015

Quand Dodo et DSK se croisent

Même pas peur… Dominique Strauss-Kahn glisse comme une sorte de gros félin malicieux dans la salle pour cette première journée d'audience au tribunal correctionnel de Lille.
Il est bien loin l'abominable «perp walk» qu'on lui avait imposé il y a quelques années de cela à New York. Il est visiblement décontracté et papote avec Fabrice Paszkowski, son ami de soirée et voisin sur le banc des prévenus, un gentil nounours de ceux qui sourient même en cas de fin du monde.
Un peu plus loin au premier rang, parmi les quatorze prévenus jugés durant les trois semaines à venir, pour proxénétisme aggravé, veille Dominique Alderweireld, Dodo-la-Saumure, un peu bougon, œil de mérou, moue de rascasse. À côté de lui Béatrice Legrain, blonde pure peroxyde.
L'hôtelier André Franchois, est vaguement triste, son directeur Francis Henrion, reste impeccable. Il y a aussi, l'ex-patron de la Sûreté lilloise Jean-Christophe Lagarde, plus tendu que les autres, ou l'avocat Emmanuel Riglaire, qui a troqué sa bavette professionnelle pour un énorme cache-col à fleurs.
Drôle d'endroit, pour une rencontre : le tribunal de Lille, tout en coffrages bruts et en modernité, ressemble à une pyramide inversée où on aurait oublié des séparateurs d'autoroute en béton. Et là, viennent à la barre des personnages hors du commun :
- M. Alderweireld (N.D.L.R. : c'est Dodo-la-Saumure), connaissez-vous M. Strauss-Kahn ? interroge le président Bernard Lemaire.
- Je ne connais pas Monsieur DSK (sic). On m'a cité son nom dans l'histoire un dimanche, et le dimanche matin, j'apporte des croissants aux pensionnaires. Tout le monde connaît l'addiction au sexe de M.DSK…
-M. Kojfer, poursuit le président vous connaissez M. Strauss-Kahn ?
- Non pas du tout, dit René. Lui, il a l'allure touchante de ceux qui s'excusent partout d'être là où ils sont. Peut-être que je me suis vanté de le connaître, mais il faut dire qu'à cette époque-là, je buvais beaucoup…
- M. Strauss-Kahn, demande le président, venez à la barre.
Il se lève. Jusqu'alors, on aurait qu'il somnolait, l'œil mi-clos. Mais c'est sans doute la vigilance du chat.
- Connaissez-vous Monsieur Alderweireld ou Monsieur Kojfer ? - Non, c'est la première fois que je les vois aujourd'hui, fait l'ancien patron du FMI.
- Connaissez-vous le Carlton ?
- Je n'y suis jamais allé.
- Et l'Hôtel des Tours ?
- Pas plus…
Il se rassoit. C'est tout pour aujourd'hui.
Le président Bernard Lemaire, lui, a essayé de présenter ce procès hors du commun. Ce magistrat au joli nœud papillon bicolore a tantôt un petit côté Alain Decaux, quand il s'enflamme, bras en l'air et effets de manches, pour décrire un personnage, tantôt des accents gaulliens lorsqu'il invoque le Droit.
Il replace l'affaire dans son contexte… très particulier !
- Certains aspects du dossier donnent des détails sur les pratiques sexuelles des uns ou des autres. Il y a même parfois des anecdotes. Un des prévenus a refusé de répondre, estimant que la question était indécente, à caractère pornographique ! Certains avocats ont produit des enquêtes très sérieuses, sur la sexualité des Français, celle des Belges, comment on recourait à a prostitution, avec des pourcentages, des tableaux…
Il y a même joints au dossier des débats sur les définitions de la prostitution, du libertinage, des escort-girls…
Pour les premières il y a rémunération, mais… il peut y avoir aussi rémunération chez les libertins» observe le président qui adopte le ton un peu pincé d'un ethnologue du XIXe siècle qui raconterait ses aventures auprès des peuples anthropophages de Papouasie-Nouvelle Guinée…
Mais il assure : «Le tribunal n'est pas gardien de l'ordre moral, il est le gardien du droit ! Nous allons examiner les faits uniquement du point de vue de leur qualification pénale. Le tribunal jugera cette affaire de la manière la plus ordinaire qui soit. Pendant ces trois semaines chacun sera libre de parler ou de ne pas parler. La liberté d'expression sera absolue !»
Il est Charlie, le tribunal !
À l'opposé des prévenus, quatre femmes emmitouflées dans des doudounes pleines de fourrures. Impossible de dire si elles sont jeunes ou pas, si elles portent perruques, quelle est la couleur de leurs yeux masqués par des lunettes. Ce sont les parties civiles.
Et l'on se demande si la veille, un dimanche, elles ont eu droit aux croissants de Dodo-la-Saumure…

http://www.ladepeche.fr/article/2015/02/03/2042501-quand-dodo-et-dsk-se-croisent.html

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